ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
SAINT-BRÉVIN-LES-PINS,
le 2 juin 2012.

Compte rendu du séjour du 2 au 4 juin 2012
par Dominique Samson.

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SAINT-BRÉVIN-PLAGE
OU L'ÉTERNEL RETOUR À NOS ORIGINES.

Inlassablement, la vague, chassée par une précédente marée descendante, revenait régulièrement attaquer le rivage de sable fin, faisait semblant de s'échouer, puis reculait pour avancer de nouveau un peu, toujours plus loin. Parfois, elle semblait paresseuse, puis s'énervant, manifestait une énergie inattendue, poussant devant elle des fragments d'algues, quelques débris jetés sans écologie, une sandale en plastique oubliée, une bouteille. Et le murmure de ce duel, jamais gagné définitivement, mais jamais abandonné non plus, parvenait aux oreilles d'un promeneur, le regard perdu vers l'horizon moutonneux et l'esprit exilé de ce qui l'entourait. Son esprit justement se prenait à faire des comparaisons. Les recherches d'un anégien, qui sont souvent un combat, ne ressemblent-t-elles pas très souvent à ces mouvements de la mer, avec des avancées, des reculs, des hésitations, des moments d'enthousiasme et des moments de lassitude ? Le promeneur se posait alors ces questions : quelle personne a mis son pied dans cette sandale ? Comment vivait-elle ? Où est-elle actuellement ? Est-ce qu'elle cherche de son côté cette moitié d'objet qui lui permet d'avancer dans la vie ? Vous ne vous êtes jamais posé ces questions ? Je prends la bouteille dans mes mains. Non, il n'y a pas de message dedans. Vous n'avez jamais " lancé de bouteille à la mer " dans vos recherches, espérant un miracle, une réponse, de celui qui la trouvera ? Le promeneur tend l'oreille. Est-il en pleine rêverie ? Car à travers le bruit, proche et lointain à la fois, de l'élément marin, il croit entendre les voix de tous ceux qui ont disparu, noyés, dans les tourmentes de l'histoire. Nos pères, mais aussi tous ces soldats et marins des deux camps, car nous sommes ici dans une région qui a subi de féroces événements (torpillages de bateaux par les sous-marins, raid naval, bombardements, siège) pendant la deuxième guerre mondiale.

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Façade de l'hôtel vue du côté mer.
Terrasse de l'hôtel façe à la mer.
© Photos (2) : J. Sauval-Schmutzler - 01/06/2012

Le promeneur se retourne. Devant lui, se dresse un bâtiment blanc de six étages. Au-dessus, une enseigne, toute de bleu, indique de manière hautaine Hôtel du Béryl . Sur la terrasse, quelques anégiens ou anégiennes papotent et à les voir, on devine aisément qu'ils ont beaucoup de choses à se dire, comme lors de retrouvailles trop espacées. Chose singulière, la végétation est composée de palmiers. J'apprendrais plus tard par un habitant que les palmiers, ici, dans une propriété, indiquent que l'occupant a beaucoup voyagé, des marins sans doute. Il y a des voyageurs qui ramènent des bibelots pour montrer qu'ils ont été dans tel ou tel pays. Ici, on ramène des arbres pour prouver que l'on a visité un pays oriental ou exotique. Ces arbres se sont-ils multipliés ou ont-ils donné l'envie de planter ailleurs ces mêmes essences, en les acquérant ? Car on les trouve partout, que ce soit dans ce quartier ou dans le centre-ville. Pas l'essence de la voiture qui nous a permis d'arriver ici, mais ces arbres qui stimulent les sens et nous font voyager en rêverie. Je reprends vite mes leçons de géographie. Non, nous n'avons pas encore organisé notre Assemblée Générale annuelle en bord de la Méditerranée. Nous sommes à Saint-Brévin-l'Océan, en Loire-Atlantique. Cette réputée station balnéaire s'est développée à la fin du XIXe siècle, fréquentée surtout pendant l'été. Avant, c'était un simple village d'agriculteurs, de pêcheurs ou de marins.

Alors que dans ma Normandie, il a plu tout le temps, j'allais séjourner à l'Hôtel du Béryl, ici le soleil nous a apporté sa présence complice.


Vendredi 1er juin.

Je viens d'arriver il y a quelques heures seulement. Je serais, pendant tout ce séjour, équipé de mes armes habituelles : ma curiosité, mes yeux, mes oreilles, mes jambes, mon stylo et mon carnet de notes. Je suis d'autant plus aiguisé que je ne connais absolument pas la contrée. Je vais rencontrer beaucoup de personnes charmantes (vous l'êtes toujours, mes sœurs et frères !), je vais apprendre beaucoup et voir plein de choses intéressantes, à commencer par ma chambre.

Encombré de quelques bagages, après avoir ouvert la porte, je reste figé d'étonnement dans l'entrée. C'est un vaste nid, j'oserais dire presque luxueux si je ne voulais pas rester modeste. Une vaste baie vitrée me fait découvrir l'océan Atlantique à portée d'aile, si je pouvais voler. De nuit, sur la droite, de l'autre côté de l'estuaire de la Loire, je distinguerais les lumières du Pornichet, de La Baule, plus loin celles du Croisic. Sur la gauche, au loin, le phare de la pointe de Saint-Gildas n'arrêtera pas de me faire des clins d'œil de ses rayons d'or. Parlons de la salle de bains. C'est mon épouse qui aimerait en avoir une aussi belle chez nous. Tellement belle que j'ai presque honte de la salir. Quand au lit, je me sens perdu dedans. Si j'étais émir, j'aurais pu me blottir dedans avec une partie de mon harem. C'est bien un fantasme d'homme, cette remarque !

Vous pensez bien que dans un tel cadre, avec le plaisir de tous se retrouver lors du premier repas pris ensemble le soir, le séjour en pays de la Loire s'annonce excellent.

Premier repas du soir pris en commun.
© Photos (11) : J. Sauval-Schmutzler - 01/06/2012

J'ai bien dit " pays de la Loire " et non " Basse-Bretagne ". Car des échos, non venus de la mer cette fois, m'indiqueront la prudence, en n'évoquant pas la querelle entre Nantes (qui a pourtant une histoire bretonne) et Rennes, pour savoir à quelle région doit appartenir judicieusement Saint-Nazaire, Saint-Brévin-les-Pins, Saint-Brévin-l'Océan et autres communes proches.

Après la tentation de rêvasser un long moment sur la terrasse de ma chambre, bercé par le souffle des sirènes que je sens proches, Morphée m'appelle pour une douce et première nuit. Tant pis pour le casino dans l'hôtel. Je ne taquinerais pas demoiselle La Chance, en m'attardant avec la Roulette anglaise, la table de Black Jack, la table de Boule ou en m'activant fébrilement sur l'une des cent machines à sous, vidéo ou Poker. Je le redis, je ne suis pas émir. C'est mon banquier qui n'arrête pas de me le rappeler !


Samedi 2 juin.

Une brumeuse clarté à travers les rideaux m'éveille. Morphée s'est éclipsé discrètement. Un rapide examen du temps, celui de ma montre qui m'indique 7 heures du matin, me fait conclure qu'avant la première réunion du conseil d'administration, je dispose d'une toute petite heure pour voir de jour ce que j'ai repéré hier soir à la tombée de la nuit, après une méditation sur la plage : le sentier du Pointeau et ses blockhaus, à quelques centaines de mètres seulement de l'hôtel. Et dans ces cas-là, je peux vous assurer que je marche vite, la fatigue n'étant qu'une considération accessoire.

Au petit déjeuner, je retrouve l'agitation brouillonne et sympathique des débuts d'assemblées annuelles : " À quel étage est ma chambre ? ", " Zut, comment elle marche cette clef magnétique ?, " Où est passée mon épouse ? ", " Mais où est-elle la Présidente ? ", " Je cherche la Trésorière ! ", " Savez-vous où sont les toilettes ? ", " Est-ce qu'il reste des croissants ? ", " Tu viens avec moi dans le car pour l'excursion de demain ? ", " Vous n'avez pas vu Tartempion qui a le reste des badges? ", etc... Beaucoup de questions, certaines pour se rassurer, mais à l'ANEG il y a toujours les solutions pour tout.

Me voilà maintenant sur un chemin de sable, où je patine plus que je ne marche. Un panneau d'information m'apprend que la zone du Pointeau a eu une vocation militaire dès la fin du XIXe siècle. Regardant vers l'immense embouchure de la Loire, je découvre Saint-Nazaire, sur l'autre rive. Je comprends alors que je suis sur un côté d'une espèce de mâchoire redoutable, prête à se refermer sur l'intrus mal intentionné qui voudrait s'approcher de l'embouchure ou attaquer Saint-Nazaire. Imaginez votre bouche, à la place des dents du haut (Saint-Nazaire), il y a des canons. Idem pour les dents du bas (Saint-Brévin-les-Pins et Saint-Brévin-l'Océan). Approchez dans votre bouche une fourchette avec dedans un petit drapeau anglais ou américain. Puis refermez fermement la mâchoire et broyez ce qu'il y avait sur la fourchette. Vous venez alors de faire une reconstitution militaire et stratégique. Mais ce genre de reconstitution aura été souvent répété dans les salles de réception de l'hôtel du Béryl, lors des repas. La différence, c'est qu'au lieu des cris d'effroi, j'ai entendu beaucoup de rires et de conversations paisibles.

Donc, on a construit de 1893 à 1901, deux batteries côtières, chacune ayant quatre canons dans des cuves en demi-lune. À cela, s'ajoutèrent deux casemates de protection pour artilleurs et un grand magasin souterrain. Deux grands projecteurs électriques balayaient l'embouchure de la Loire. Les soldats, venant là par roulements, étaient basés au fort de l'Ève, à Saint-Nazaire. Avant la deuxième guerre mondiale, Il y avait trente ouvrages bétonnées sur le même lieu, dont quatre casemates pour canons, trois pièces anti-aériennes, un réduit défensif anti-chars, une batterie de semonce de quatre canons de 95 mm et une batterie principale équipée de quatre canons de 240 mm, dont la portée pouvait atteindre 12 km. Désarmée dans les années 1920, la batterie principale est rééquipée de deux canons de 75 mm à la fin des années 1930. Un poste de direction de tir est élevé à proximité.

L'armée allemande occupe les lieux dès 1942 et intègre l'ensemble au Mur de l'Atlantique. Fortement armé, le site devient un important point d'appui (Stüzpurikt) de la forteresse (Festung) de Saint-Nazaire (poche). Saint-Nazaire sera seulement libéré, après un long siège éprouvant, le 11 mai 1945, suite à la la capitulation de l'Allemagne. Un des bunkers (type H6630) a un toit de béton de 3,50 m d'épaisseur et a nécessité 172 tonnes d'acier. Une cloche blindée d'observation a un blindage d'acier de 10 cm d'épaisseur. Je suis toujours étonné du silence qui règne en ces lieux après tant de fureurs guerrières et meurtrières. À la place des caisses de munitions ou d'armes inquiétantes, poussent des bosquets de plantes sauvages. Comme l'air de la mer leur va bien !

Saint-Brévin-les-Pins a compté jusqu'à vingt-trois sites défensifs. Il ne reste maintenant qu'une centaine d'ouvrages. Je remarque que certains blockhaus ont servi de soubassement pour la construction de maisons neuves au-dessus. Au moins, dans ces habitations, les bonnes bouteilles entreposées dans les caves sont à l'abri !

Avant notre grand moment de la journée, Francis Lebot emmène le nouveau consul d'Allemagne à Paris, Mme Juliane Lemme, pour une visite rapide de Saint-Nazaire. Il me propose gentiment de l'accompagner. Vous devez vous douter de ma réponse. Un quart d'heure après, je suis dans la voiture. Nous passons sur l'audacieux pont de Saint-Nazaire, mis en service le 18 octobre 1975. L'ouvrage métallique mesure 720 m et la travée centrale est de 404 m. Au milieu, nous sommes à 61 m au-dessus des flots. Les têtes des deux pylônes supportant les haubans culminent à 130 m au-dessus de la Loire. Du pont, que ce soit du côté de l'Atlantique ou du côté du fleuve venant de Nantes, la vue est impressionnante. L'ouvrage est en courbe, pour pouvoir mieux résister aux forts vents venant du large.

Arrivé sur la rive droite, nous apercevons sur la zone industrielle deux curieux bâtiments de béton, assez haut, semblant abandonnés. Il s'agit des anciennes forges de Trignac et ce que nous voyons sont deux hauts fourneaux, dont le plus ancien date de 1880. La production de fonte s'arrêtera en 1932. Les vestiges aériens sont classés au titre de patrimoine industriel.

Nous passons devant la base sous-marine, qui avait la seule cale, en France, pouvant accueillir les deux seuls cuirassiers allemands, dont le " Tirpitz ". C'est dans cette cale, dite " Joubert ", inaugurée en 1933, que fut construit le paquebot " Le Normandie ". Le 11 novembre 1961, le paquebot " France " quittera aussi cette cale reconstruite pour une prestigieuse carrière. Après le premier raid sur Saint-Nazaire les 27 et 28 mars 1942, qui détruisit totalement la cale, suivi par celui de Dieppe, en Seine-Maritime, les allemands attendaient un troisième raid, mieux préparé. Ils fortifièrent donc tous les ports du réseau Todt. La base sous-marine était déjà inaugurée depuis le 30 juin 1941. Elle pouvait abriter quatorze U-Boote (sous-marins).

© Bundesarchiv_DVM_10_bild-23-63-65 Foto: o.Ang. / 1936/1939 U-Boot_U36

Là encore, faisons parler les chiffres : la dalle, au-dessus de la base sous-marine monte jusqu'à huit mètres d'épaisseur, les bombes anglaises étant de plus en plus puissantes. Mais le site n'a pas souffert (le volume total de béton pour construire la base est de 313.000 m3), alors que Saint-Nazaire a été entièrement détruit par les bombes incendiaires. Après le raid anglais de mars 1942, la population de la ville est passée de 36.000 habitants à une centaine seulement. Rappelons aussi que la défense anglo-américaine contre les sous-marins étant de plus en plus efficace, 82% des effectifs allemands engagés ont péri dans le néant éternel des flots de l'océan.

Enfin, nous longeons ensuite l'énorme site industriel des Chantiers Navals de Saint-Nazaire. Nous nous arrêterons pour approcher d'un paquebot de croisière en construction. Nous avons l'impression d'être des petites mouches à côté. À côté de ce site industriel, voisine la grande usine Airbus, fabriquant notamment l'avion géant A380. Merci, Francis, pour cette visite particulière qui a enchantée notre curiosité et notre soif d'apprendre. Merci Mme Lemme pour votre gentillesse. C'est un grand plaisir d'avoir fait votre connaissance.

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L'après-midi sera consacrée à ce pourquoi on est tous venus : la tenue de l'Assemblée Générale de l'ANEG 2012. Je ne narrerais que quelques informations inédites, car notre active secrétaire prépare de son côté un compte rendu précis des débats.

Bureau accueil-émargement.
© Photos (1) : J. Sauval-Schmutzler - 02/06/2012

Le matin, dernière réunion du Conseil d'administration
avant l'A.G. de l'après-midi.
© Photos (3) : J. Sauval-Schmutzler - 02/06/2012


Repas du midi avant l'A.G..
© Photos (3) : J. Sauval-Schmutzler - 02/06/2012

L'Aneg adhérera à la Fédération André Maginot, qui pourrait nous apporter des aides financières pour nos activités. L'Union Nationale des Combattants est prête à faire connaître notre association dans son journal. Nous participerons à l'anniversaire du Traité franco-allemand de l'Élysée (22 janvier 1963).

L'assemblée des anégiens très attentive.
© Photos (3) : J. Sauval-Schmutzler - 02/06/2012

Allocution de notre Présidente,
Jeanine NIVOIX-SEVESTRE
Allocation de Mme Juliane LEMME,
Ambassade d'Allemagne Paris - Service consulaire.
© Photos (5) : J. Sauval-Schmutzler - 02/06/2012


Après l'effort, le réconfort autour d'un bon apéritif !
© Photos (5) : J. Sauval-Schmutzler - 02/06/2012

Josiane Mauchauffée devient Présidente, Jeanine Nivoix vice-présidente. Un passage de relais qui permettra à Jeanine de souffler un peu. Mais peut-on arrêter Jeanine ? Mission impossible, va soupirer son époux Michel.

Bourges, dans le Cher, le pays de Jacques-Cœur, la résidence du roi Charles VII,
est proposé pour notre rencontre annuelle nationale en 2013.
Encore un beau coin de France à découvrir ensemble !

Le soir, dans l'amphithéâtre, nous découvrirons que des talents cachés de conteuses et de chanteuses, qui ne demandent qu'à monter sur scène, se cachent parmi notre grande famille de l'ANEG. Suzanne Vrai, Josiane Kruger et Françoise Geier nous ont offert un grand moment de plaisir, à travers des sketchs bien construits, plein d'humour et de malice. Si vous avez besoin de photos pour un passeport, demandez conseil à Suzanne. Elle sait ce qu'il faut faire... ou ne pas faire. Puis, Josianne et Mijo Panier ont chanté délicieusement " Mon homme ". Mais nous sommes là, mesdames... Au fait, où est la carte de visite de mon imprésario ? J'ai quelques noms à lui recommander...


Dimanche 3 juin.

Les mines réjouies, même si certains cherchent des allumettes pour maintenir les yeux éveillés, nous nous préparons à partir attaquer pacifiquement le Grand blockhaus de Batz-sur-Mer, inspecter la cité fortifiée de Guérande et réquisitionner quelques provisions de sel dans la région du même nom. Tout notre petit monde sera réparti dans deux cars et pour ne pas effrayer l'autochtone, nous ferons les visites par roulement, un car le matin dans un site, puis un autre site l'après-midi et inversement pour le deuxième car. Mais nous nous retrouverons tous au mess, le midi, à Guérande. Difficile en certains lieux touristiques de ne pas raisonner en militaire en voyant tout ce qui nous entoure. Soldat Samson, au rapport !

Nous longeons la côte jusqu'à la Baule. Je ne m'étendrais pas sur tous les évènements dramatiques vécus ici pendant la deuxième guerre mondiale, hormis l'énorme drame qui vit couler le navire Lancastria, le 17 juin 1940, alors qu'il sortait du port de Saint-Nazaire, en évacuant les soldats britanniques rescapés de la débâcle militaire. Une bombe allemande passa dans la cheminée du navire et fit exploser la chaudière. On dénombra 3.000 morts, brûlés, blessés et noyés. Certains avancent le chiffre de 7.000 victimes. Le " Jean-Bart ", dont la construction à Saint-Nazaire était inachevée, réussit à passer. Mais il sera endommagé à Casablanca par les américains, en novembre 1942. Je m'intéresse, c'est vrai, à l'histoire militaire, mais j'ai horreur des conflits armés pour régler les rivalités politiques, économiques ou expansionnistes des hommes entre eux. Que de souffrances, de larmes, de tragédies, de vies stoppées brutalement, de colossales sommes d'argent gaspillées, sont écrites avec le sang des humains dans toutes les pages d'histoire de l'humanité !

Nous voyons, en passant, une statue d'un soldat américain brandissant une épée et juché sur un aigle. Réalisé par Whitney en 1926, elle rappelle l'arrivée des troupes américaines à Saint-Nazaire à partir de 1917. La statue fut inaugurée le 27 juin 1926, en présence du général Pershing. La sculpture a nécessité dix tonnes de bronze et les ailes de l'aigle ont douze mètres d'envergure. Évidemment, les allemands la détruisirent le 13 décembre 1941. Elle fut reconstruite à l'identique, en 1989, par Pierre Fouenant, sur la plage du Grand traict.

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Nous sommes accueillis à Batz-sur-Mer, sur le site du Grand Blockhaus, par un canon français de 240 mm, modèle 1893/1896. Impressionnant, tel un éléphant brandissant agressivement sa trompe, le canon dresse devant nous son tube pesant 24 tonnes. Cette arme, d'une portée de 22,70 km, pouvait vous envoyer, par deux coups toutes les trois minutes, un projectile de 162 kg. Il y en avait deux, confisqués par l'armée allemande, et qui constituèrent la batterie de marine côtière de Batz-sur-Mer, dépendante du 280e bataillon d'artillerie de la marine. N'essayez pas d'emmener le canon comme souvenir, car l'ensemble pèse 141 tonnes. Quatre autres canons de 305 mm pouvant tirer jusqu'à 51 km, étaient prévus en complément. Je n'aurais pas franchement aimer pêcher en mer, face à ces dogues d'acier !



Le Grand Blockhaus
Musée de la Poche de Saint-Nazaire.

Le blockhaus voisin est un poste de direction de tir lourd (type S 414) du mur de l'Atlantique. 300 m2 carrés d'espaces scénographiés, sur plus de cinq niveaux, et plus de 50 mannequins nous font plonger dans l'ambiance de l'époque, pas spécialement jouissante. Ce maintenant monument a été construit en seulement trois mois et demi (22 octobre 1942 au 8 février 1943). Il a nécessité un squelette de fer de 125 tonnes, 4.500 tonnes de béton (1.800 m3, coulés en seulement 27 heures sur trois étapes et représentant 300 camions toupies de 6 m3). Le blockhaus était maquillé en villa, avec de fausses fenêtres peintes et un toit factice. Les murs et les plafonds ont une épaisseur de deux mètres. Comme cela, on entend pas les soldats bavarder ou ronfler dans l'autre pièce ! Mais je n'ai vu que peu d'anégiens gravir l'échelle pour aller voir le cinquième et dernier niveau, à environ 15 mètres, là où se trouve le télémètre. J'ai essayé de l'utiliser pour voir s'il y avait une naîade sur la plage, mais la proximité si peu rassurante d'un tel bâtiment avait dû les faire fuir ! Après la guerre, le commandant allemand de la batterie est revenu, jusque dans les années 1960, passer ses vacances à Batz-sur-Mer. Est-il bien aussi de rappeler qu'un des marins artilleurs de ce bataillon M.A.A. 280 n'est pas retourné en Allemagne à la fin de la guerre, mais qu'il a fini sa vie comme ébéniste à La Baule. N'est-ce pas mieux ainsi ? La vie paisible entre européens n'est-elle pas plus savoureuse que le triomphalisme, teinté d'inquiétude sur sa survie en temps de guerre, du vainqueur éphémère ?


Entrée du blockhaus.

Visières du blockhaus orientées vers la mer.


Canon de 240 mm.


Canon.


Reconstitution de la chambre du commandant du blockhaus.

Reconstitution d'une des trois chambrées de la troupe au sous-sol du blockhaus.


La chaufferie.
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Détail d'une des trois chambrées de la troupe
au sous-sol du blockhaus.

Reconstitution d'une des trois chambrées de la troupe
au sous-sol du blockhaus.


Groupe électrogène.

Détail de l'uniforme de l'O.T.


La salle de ventilation et les ventilateurs.


Vue sur la mer.
Niveau 4.


Vue sur la mer de la dernière visière, 28 mètres au dessus de la mer.
Niveau 5.

Appareil d'optique dans la dernière visière, 28 mètres au dessus de la mer
Niveau 5.


Reconstitution de la signature de la reddition des troupes allemandes de la forteresse de Saint-Nazaire et de ses 28 000 soldats (Poche de Saint-Nazaire).
Cordemais, 8 mai 1945.
© Photos (17) : J. Sauval-Schmutzler - 03/06/2012

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Nous voilà enfin à Guérande, au Nord-Est de 2.000 hectares de marais salants, où nous allons tout savoir sur le métier de paludier. En été, lors des grandes marées, le paludier fait entrer l'eau venant de la mer par d'innombrables étiers (petits canaux) sur différents bassins ou " œillets ", profonds de 1,5 cm à 2 cm. (cobiers, fards, adernes). Sous l'action conjuguée du soleil et du vent, l'eau s'évapore. La salinité de l'eau augmente jusqu'à huit fois. Le sel recueilli se départage en deux produits : le gros sel, gris, ramassé sur l'argile de l'œillet avec un râteau de bois, le " las " ; la fleur de sel, fine, toute blanche, écrémée délicatement sur la surface de l'eau. Il faut une quarantaine de jours pour obtenir avec patience une récolte moyenne. Il y a actuellement 250 paludiers qui récoltent quelques 12.000 tonnes de sel par an. Le mot " paludier " vient de " marais ". Rassurez-vous, dans ces espaces, on n'attrape pas le paludisme! J'ai senti que tous, vous découvriez avec intérêt un métier inconnu. Quand, d'un geste banal, vous salerez un plat, vous penserez à ce cadeau de la nature et surtout au labeur de tous ces hommes et femmes qui travaillent pour le plaisir de nos palais. Dans les autocars, les conversations, suite à cette visite, ne manquaient pas de sel et chacun apportait son grain de sel !


Les remparts de la vieille ville.

Intérieur de la vieille ville.

La "Porte Vannetaise" représente la partie la plus ancienne des remparts.
© Photos (6) : J. Sauval-Schmutzler - 03/06/2012

Guérande, cette dame moyennageuse, qui garde la ligne grâce à un corset de murailles érigées surtout au XVe siècle, est une passionnante découverte pour qui aime le patrimoine comme moi. Quatre portes, une poterne et sept tours donnent une impression d'inviolabilité, mais toute relative, vu le nombre de touristes qui se bousculent dans ses ruelles. Le pèlerinage de tous ses gens venus d'ailleurs se fait surtout pressant dans les nouveaux temples où l'on trouve en abondance cartes postales, bibelots-souvenirs, boissons, et bien sûr les petits sacs de fleur de sel. Rassurez-vous, l'impôt sur le sel, la fameuse " Gabelle ", a été supprimé une première fois en 1790, sous la Révolution, puis définitivement par la loi de finance de 1945. Vous ne risquerez pas les galères qui étaient réservées aux contrebandiers exportant illégalement le sel de Bretagne vers d'autres régions sans payer cet impôt. Si cela était arrivé à l'un d'entre vous, cela aurait était la meilleure, sel... là !

Restaurant ouvert spécialement pour nous.
Nous attendons l'arrivée du deuxième groupe.
© Photos (11) : J. Sauval-Schmutzler - 03/06/2012

On ne peut se promener que sur une partie des 1.300 mètres de courtines de l'enceinte la plus complète de Bretagne et l'une des mieux conservée de France. De là-haut, près de la belle porte Saint-Michel, j'ai pu épier discrètement les mouvements de certains anégiens ou anégiennes. Certains sont venus repérer où se trouverait le car en fin d'après-midi, pour ensuite, rassurés, partir à la découverte de la ville, de la collégiale Saint-Aubin, de la chapelle Notre-Dame de la Blanche, hélas fermée, de l'hôtel-Dieu Saint-Jean ou comme moi de la remarquable exposition de faïences de Guérande, dans les salles au-dessus de la porte Saint-Michel.

De retour à Saint-Brévin-l'Océan, là où certains baigneurs courageux ont été voir si l'eau de la mer était bonne, après cette excursion fort instructive et dépaysante, un bon repas nous apportera un repos temporaire, car la fin de soirée sollicitera toute l'énergie de nos gambettes. Le groupe folklorique " Gwennili Mor ", basé à Saint-Brévin-les-Pins animera la soirée. Il était tout à fait opportun pour nous pour deux raisons, voire même trois. Un, il va nous faire connaître les chansons du terroir breton. Vous saurez, après leur prestation, danser la " Polka de Paimpol ", la " Maraîchine " du marais breton-vendéen, la " Périgourdine " (pas du Périgord, mais de la région de Merdrignac !), la " Ronde balancée de Dol ", etc... Vous ne vous " enverrez pas en l'air " mais " à l'intérieur " avec la " Kas a barh " du pays vannetais. Ce fut, sous l'apprentissage des artistes, des rondes sans fin, où il était difficile de rester immobiles sur sa chaise. La deuxième raison qui nous rend les danseurs sympathiques est de savoir que sa première prestation fut donnée, dans le cadre d'un jumelage, à Peisenberg, en Bavière. Enfin, la troisième raison, partagée par tous, c'est que tous les membres de ce groupe ont su communiquer leur bonheur de danser pour nous et qu'ils étaient d'une très grande gentillesse.


Le groupe folklorique " Gwennili Mor ".
© Photos (11) : J. Sauval-Schmutzler - 03/06/2012



Lundi 4 juin.

Le temps des au revoir, moment toujours douloureux pour nous tous, est arrivé. Les bonnes journées passées ensemble vont se transformer en images nostalgiques. Nous savons bien que pour beaucoup d'entre nous, il faudra attendre douze longs mois avant de se revoir. Que va-t-il se passer pour chacun d'entre nous pendant cette année ? Que va nous réserver la vie pendant ce temps ? Il est des questions qu'il vaut mieux mettre en sourdine au fond de sa poche à ces moments-là, car nous manquerions presque de courage pour se séparer.

Quand à moi, après un utile conseil d'administration en fin de matinée, puisque nous profitons de l'opportunité d'être ensemble, je sais que j'ai l'après-midi de libre. Il fait beau en plus. Je me suis donc envisagé quelques friandises culturelles, car j'ai pris le soin d'examiner, ou plutôt d'étudier, le plan de Saint-Brévin-l'Océan. Je vais donc commencer par voir le petit dolmen des Rossignols, dans l'allée du même nom. Je ne vois pas les oiseaux, mais je fais un sacré bond dans la très ancienne histoire du village. Ensuite, longeant la plage des Rochelets, puis la plage de l'Ermitage, au bout de plusieurs kilomètres, à pied bien sûr, je découvre le beau menhir de La Pierre Attelée, au lieu-dit " La Roussellerie. Ce sera le premier. Après, je me rends au lieu-dit " Le Boivre ", en pleine campagne. J'aurais du mal à trouver le menhir du Boivre, très grand et triangulaire, mais caché par des haies. En errant un peu, je trouve un ancien moulin à vent, transformé en habitation. Et je fais une curieuse et inattendue rencontre : deux lamas blancs dans un pré, qui me toisent avec condescendance. Je savais bien que je n'étais pas au Pérou, mais ils ne m'ont pas renseigné sur ce que je cherchais. Et je n'ai pas osé leur tirer la barbichette, connaissant la susceptibilité de ces créatures !
En me basant sur le sens de l'orientation, et passant à travers une clôture barbelée, ne le répétez pas, bingo, je trouve mon troisième site archéologique. Je reviens alors vers la civilisation en passant voir le petit menhir de La pierre de couche, au croisement de l'avenue du 8 mai 1945 et de l'allée bien nommée du Menhir. De l'autre côté, le menhir " Les pierres couchées ", à l'intérieur d'un grand camping, n'est pas connu. Je reviens vers l'hôtel du " Béryl ", par la plage de l'Océan. Le plaisir dépasse la fatigue que je ressens néanmoins. Et je fais une dernière découverte. Un monument en bord de plage m'apprend encore une tragédie liée à la guerre : la catastrophe du Boivre. Cinq cents hectares de terres, riveraines de la mer, avaient été noyés volontairement par l'occupant, dont vingt-cinq à Saint-Brévin, en cas de débarquement anglo-américain. Aux premiers mois de 1945, les habitants réclament un assèchement partiel. Une tranchée est donc creusée à travers les dunes pour évacuer l'eau vers les rochers de l'Ermitage. Les paysans sont réquisitionnés et le chantier démarre le 15 mars 1945. On dégage alors 244 mines anti-chars. Le matin du samedi 17 mars, on découvre une mine que l'on n'arrive pas à désamorcer. On la jette alors sur le tas des autres mines, désamorcées, elles, mais contenant toujours leurs explosifs. Et ce qui n'aurait pas dû arriver se produit hélas. À 8 h 45, une explosion en chaine projette sur les dunes de l'Ermitage une vingtaine de cultivateurs, âgés de treize à soixante-et-onze ans. Quinze seront tués, ainsi que deux soldats allemands.

Comme l'hôtel me paraît bien calme, ce soir, la plupart de nos sœurs et frères de l'ANEG étant partis. Et comme leur brouhaha me paraissait rassurant en comparaison de tout ce qu'on a pu entendre comme récits brutaux sur la guerre et ce qu'ont pu endurer tous les soldats de tous camps. C'est à moi maintenant de préparer mes bagages pour retrouver Rouen, la ville où les anglais ont brûlé Jeanne d'Arc. Ils ne l'ont pas crue, mais l'ont eue cuite ! Que de choses, je vais raconter à mon épouse.


Et que de choses vécues ensemble vont devenir de bons souvenirs.
Et que de travail passionnant, je vais devoir assumer
pour trier mes notes et la documentation ramenée.
Et quel plaisir je vais prendre pour écrire ce récit de voyage...


Auf Wiedersehen, à l'année prochaine !


De mon écritoire, le 30 septembre 2012
Dominique SAMSON




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