ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
SAINTE-TULLE,
le 17 mai 2014.

Compte rendu du séjour du 16 au 18 mai 2014
par Dominique Samson.


Les retrouvailles anégiennes
au parfum de lavande,

où comment découvrir un nouveau coin de France
sans se prendre pour une cigale.

"Les bonheurs, même plus petits, sont importants " a écrit un jour Alfred de Musset. Et j'affirme " Les petits bonheurs accumulés forment les grands et bons souvenirs ". Souvenirs constitués de retrouvailles, de nouvelles rencontres, d'amitié, de confidences parfois émouvantes, de pratiques culinaires agréables, d'images de lieux magnifiques que l'on ne connaissait pas, bien qu'on en ait entendu souvent parler en nous laissant frustrés de n'y être pas encore allé, des fulgurances des appareils photos en surchauffe. Avec pour épicer, tout ce qu'on a vu, trouvé, senti ou ressenti, appris ou lu. Mais il me semble que j'ai déjà vu cette recette du plaisir quelque part. Mais oui, c'est celle de l'Amicale Nationale des Enfants de la Guerre, lors des assemblées générales annuelles (je préfère le mot " Rencontres annuelles "), bien qu'il y ait frustration à compter les mois qui séparent ces déplacements à travers la France ou quelquefois l'Allemagne.

Pour partager ce menu, en cette année 2014, nous avons été conviés à Sainte-Tulle (Alpes-de-Haute-Provence) du samedi 17 mai au lundi 19 mai. Sainte-Tulle, avez-vous dit ? Connaît pas. En cherchant, je découvre que Sainte-Tulle était la sœur de Sainte-Consorce, filles d'un évêque de Provence, Eucher, au VIe siècle. Mais cela ne nous avance pas loin, sauf dans le temps. Par contre, le mot " Provence " me rend le cœur léger comme le tissu du même nom. Je me sens l'âme d'une cigale, une senteur de lavande me titille les narines, je frémis au souffle du mistral qui pourrait m'emporter. Pourvu qu'il n'y ait pas trop de moustiques en cette saison, comme me le rappelle une piquante expérience de jeunesse où, campant à la belle étoile dans la vallée du Rhône, ces petites bêtes pas sympathiques m'avaient vite confondu pour leur petit déjeuner. Vite, une carte routière et je trouve que Sainte-Tulle se trouve au sud de Manosque, ville natale de l'écrivain Jean Giono en 1895. La Durance n'est pas loin, peut-être même vais-je rencontrer sur un chemin Alphonse Daudet, à la recherche d'une idée pour un de ses contes...

Mais foin de mes bavardages. Il est temps de partir. Je vous emmène avec moi. Bonne route, mes sœurs et frères, amies et amis. Ce sera un long voyage, à partir de Rouen, fait de constantes découvertes. Mais je ne suis pas seul. Je suis en co-voiturage avec Pierre et Aline Mailait et le voyage se fera en deux étapes sur deux jours, puisque nous ferons une délicieuse halte de nuit chez Gérard et Éliane Trincal, au Puy-en-Velay. Ce nom vous rappelle bien sûr la superbe assemblée générale que nous avons eue en cette ville, en 2009. Le premier bonheur est d'être en agréable compagnie, avec un très bon chauffeur. Le deuxième est de retrouver nos amis du Puy-en-Velay, ainsi que la ville. D'autres bonheurs vont suivre.



Vendredi 16 mai :

Après une bonne nuit, ayant eu le temps de lire un album de Tintin du petit-fils de nos hôtes et après les croissants, départ du Puy-en-Velay. Je suis un peu ému de retraverser la ville que j'avais découverte avec beaucoup d'intérêt il y a cinq ans. Cinq ans déjà ! Avec les Trincal, nous nous sommes donné rendez-vous à une auberge typique au col de La Chavade, à 1,266 m. d'altitude, au-dessus de la vallée de l'Ardèche. À cette pause-café, nous apprécions la boisson chaude, car si nous sommes partis sous le soleil, ici, nous sommes en plein dans les nuages. Comme je me laisse conduire, direction la vallée du Rhône, j'ai tout loisir de plonger le regard vers de profondes vallées encaissées, cernées de montagnes boisées. Je ne ferais pas ici la visite détaillée de la vallée de l'Ardèche, ni celle du Rhône, ce n'est pas le sujet, mais moi qui suis passionné de patrimoine, je suis gâté par les châteaux que nous voyons, accrochés à la montagne, les vieux villages que nous traversons, la magnanerie de Neyrac-les-Bains (pas une résidence de magnat, mais celle de l'élevage des vers à soie) dont je reconnais la disposition. Les points de vue, sous le soleil retrouvé, sont magnifiques. De peur d'avoir le tournis, je n'ai pas compté le grand nombre de virages sur la route. Je repère les premiers cyprès et les vignes qui donnent ce bon rosé de l'Ardèche. Moi qui rêvais depuis longtemps de traverser l'Ardèche, c'est un bonheur de plus à comptabiliser.
Au sud de Montélimard, je vois mon premier champ de lavande. Je retrouve avec une certaine émotion des noms de lieux notés lors d'un long voyage en stop en 1970, entre Valence et Marseille, en parcourant les deux rives du Rhône. J'avais 22 ans. Cela fait donc 44 ans. Nostalgie, où est passée ma jeunesse ? Enfin, après ce voyage agréable, et évité Marseille (on nous avait conseillé d'aller voir la sardine qui bloquait le port, mais nous n'avons pas cru à cette histoire !), en remontant la Durance, nous arrivons à notre destination, l'hôtel Regain, à SAINTE-TULLE, vers 15 h 30. Vous me connaissez pour certains de l'ANEG, pour moi, c'est Regain d'intérêt.
Françoise et Jehan Sauval-Schmutzler, Jeanine et Michel Nivoix, Éric Bourget et son épouse, plus quelques autres sont déjà là. Attention les joues, il va y avoir échauffement de la peau ! L'hôtel Regain est en fait l'hébergement pour les employés d'EDF, en formation technique dans les locaux voisins. D'ailleurs, assez vite, je découvre à côté de l'hôtel une prairie où sont plantées toutes sortes de poteaux électriques, en bois, en ciment, avec des fourches de branchement variées. Sont construits également toute une variété de transformateurs électriques. Si les anégiens ne sont pas éclairés avec tout cela, je vais faire une de ces bougies... La chambre est sympathique, les personnes présentes aussi, pour le moment tout va bien. Bonne nuit, les petits, mais grands dans mon cœur.

Arrivée, émargement et retrouvailles chaleureuses des Anégiens.
© Photos (6) : C. Rumpler - 16/05/2014

Retrouvailles avec l'équipe de la télévision allemande ZDF.
© Photos (2) : C. Rumpler - 16/05/2014


Samedi 17 mai :

Comme les années précédentes, le réveil est dans ma tête et il sonne très tôt. Sept heures s'affichant sur ma montre, je suis déjà dans la campagne près de l'hôtel. Je me promène dans les vignes. Je suis très étonné de voir comment les ceps de vigne poussent dans les galets, avec si peu de terre. Je suppose qu'en des temps immémoriaux, la Durance devait être très large et qu'elle a façonnée ces pierres en formes de galettes, un peu dures à digérer certes, mais agréables au toucher lorsqu'on les prend dans sa main. Encore quelques cailloux qui vont être ramenés à Rouen, malgré les soupirs de mon épouse. Est-ce que ces cailloux ont un effet sublimatoire ? J'ai constaté que lorsque je suis stressé, agressé par les problèmes administratifs ou financiers, le fait de reprendre ces objets dans ma main me permet de repenser aux bons moments où je les ai ramassés. Cela m'apaise. Un concert d'oiseaux m'accompagne, car je longe un bois. Le ciel est bleu. Il fait bon. Je suis heureux d'être là. Au retour, je découvre le chemin qui mène à la chapelle Sainte-Tulle, de l'autre côté de la route, en face de l'hôtel. Construite sur le bord du cours d'eau dit la Chaffère, entre le VIIIe et le IXe siècle, très simple mais charmante, elle possède une crypte creusée dans le roc du sol. Lieu d'inhumation entre le XIIe et le XIVe siècle, plus vaste à son origine, elle dut servir de lieu de pèlerinage à Sainte-Tulle de Manosque. Une date au-dessus de la porte indique " 1862 ", dans doute année d'une restauration. Deux chevaux, dans le pâturage voisin, sont étonnés de voir ce visiteur matinal et solitaire. D'où sort-il celui-là, semblent-ils penser.
Un hennissement plus loin, je retrouve les enfants nés de la guerre qui étaient déjà là hier ou qui arrivent, encombrés par les valises et les sacs. Premières séances de bronzage sur la terrasse, avec un premier contact avec le soleil de Provence, où chacun prend timidement connaissance des autres présents. Après une année difficile, où on n'a entendu tout et n'importe quoi, sauf des parole apaisantes, je sens une certaine appréhension à se retrouver. Mais nous sommes une amicale, donc une association d'amitié et celle-ci va rapidement dissiper les frilosités et les malentendus. Mais la vie d'un administrateur n'est pas faite que d'école buissonnière. Elle est aussi faite de travail constructif, de réunions préparatoires. Donc, direction une salle pour un premier conseil d'administration. Après et avant le repas, je vais faire rapidement un tour dans le village de Sainte-Tulle. Intéressantes sont les trois sources qui alimentent un lavoir dans une galerie sous la mairie. Le jardin public est grand et bien entretenu.

Je ne reviendrais pas ici sur le déroulement de l'Assemblée générale, dans l'après-midi. Ce sera l'objet du Compte rendu administratif. Mais ce que je peux dire, c'est que du haut de l'estrade, observant l'assistance, après les explications données par le Président, le trésorier, la secrétaire et les réponses apportées aux questions qui brûlaient les lèvres, j'ai senti une détente s'installer, une crispation s'envoler. Ce fut pour moi un nouveau motif de bonheur. À nous tous maintenant de retenir les leçons, mêmes amères, du passé. La suite de notre séjour dans les Alpes-de-Haute-Provence allait se passer dans la sérénité retrouvée.

Le repas du midi avant l'assemblée générale.

© Photos (10) : J. Sauval-Schmutzler - 17/05/2014


L'Assemblée générale.

Le Conseil d'administration.
© Photos (5) : C. Rumpler - 17/05/2014

Minute de silence pour nos amis disparus et l'assemblée attentive.
© Photos (2) : C. Rumpler - 17/05/2014

Présentation de quelques membres.
© Photos (4) : C. Rumpler - 17/05/2014


Après l'assemblée générale, l'émargement, le vote
ainsi que le dépouillement, se sont déroulés devant tous les adhérents.

© Photos (4) : J. Sauval-Schmutzler - 17/05/2014


Le pot de l'amitié après l'assemblée générale.

© Photos (4) : C. Rumpler - 17/05/2014

Après le diner, le soir, un bon nombre d'entre nous se sont retrouvés dans une salle pour se présenter, connaître les nouveaux adhérents, échanger, partager nos interrogations, faire des suggestions. Dans une association, c'est le meilleur exercice qui soit pour éviter tout quiproquo, toute manœuvre maladroite et déstabilisante, garder la confiance et la franchise entre nous et perpétuer l'avenir de l'association. Certains n'étaient pas là car fatigués. Pour un grand nombre en effet, il a fallu traverser la France ou une grande partie du pays et cela sur une seule journée. Sans faire de tourisme comme votre narrateur...


Dimanche 18 mai :

Branle-le-bas de combat dans les couloirs. Non, il n'y a pas de revue de paquetage dans la cour de la caserne. Mais un car nous attend pour découvrir quelques palettes touristiques de la Provence. Nous traversons la Durance, saluons les oliviers et les amandiers et les premiers champs de lavande apparaissent sur les hauteurs du plateau de Valensole. Monika Chaumont, qui a très bien préparé ce séjour dans sa région, a eu la très bonne idée de nous amener à l'exploitation " Lavandes Angelvin ", à VALENSOLE. C'est la quatrième génération d'exploitants sur les 200 hectares du domaine, dont 90 plantés en lavande et lavandin. Il existe plusieurs variétés de lavande en Provence. Mais les deux principales sont la lavande aspic ou grande lavande et la lavande fine ou lavande vraie (dite aussi officinale pour ses vertus thérapeutiques). La lavande, plus fragile, a une vie de six ou sept ans. Le lavandin, hybride de la lavande vraie et de l'Aspic, plus riche en essence, dure huit ou dix ans. Le mot " Lavande " vient de " laver " à cause d'une qualité antiseptique que lui reconnaissaient les romains. Mais la femme de celui qui cultive la lavande n'est pas une lavandière (femme qui lave le linge à la main) mais une lavandicultrice. La lavande a une tige unique avec des fleurs en étages. La floraison de la lavande se fait à partir du 15 juin jusqu'en juillet, où la couleur est la plus intense. Le lavandin est plus tardif. La lavande plus la lavande sauvage (aspic) donne du camphre, selon le lavandiculteur qui nous reçoit.

Visite des champs de lavande et explications de sa culture.
© Photos (4) : C. Rumpler - 18/05/2014

Comme tous les métiers liés à l'agriculture ou à l'arboriculture fruitière, le métier de lavandiculteur donne parfois des angoisses. Sur le plateau de Valensole, il ne pleut pratiquement jamais (pas comme à Rouen !). Le sol est donc très dur et la plante peut avoir soif. La cycadelle, insecte destructeur, pose sur les plants de lavande un virus qui émigre vers la racine. Avant, ce virus se trouvait sur les plants de vigne. Malgré des recherches en laboratoire, la parade n'a pas encore été trouvée, à moins de faire peut-être de la lavande génétiquement modifiée. Et nous observons ensuite, sachant cela, qu'il y a de nombreux trous dans les rangées de pieds de lavande atteints. À cause des huiles essentielles, il y a aussi le risque d'incendie dans les champs de lavande. Et il y a aussi un autre danger, lié au mondialisme, c'est la production de lavande de synthèse, où il n'y a pas un gramme de la plante dans la composition. Pourtant, c'est une grosse concurrente de la vraie et naturelle lavande. Lors de la distillation, par un procédé chimique pour absorber par un produit gras l'essence contenue dans la fleur, on obtient un extrait pâteux, la " concrète ". La présence de cire est due au mélange de fleurs et de solvant. Pour éliminer cette cire, on mélange le tout à de l'alcool. Après filtrations et élimination de l'alcool, on obtient " l'absolue ", très aromatisée, destinée à des usages divers en parfumerie. Avec une tonne de lavande, on obtient 15 kg de " concrètes " dont on tire 10 litres d' " absolue ".
Pour connaître la variété des produits utilisant la lavande, nous sommes invités à pénétrer dans la caverne d'Ali-Baba, où, après avoir visionné un film documentaire, chacun pourra acheter soit une savonnette, soit un sachet de lavande, soit un oreiller odoriférant, ou une crème, une lotion, une infusion, un diffuseur de parfum, un brûle-parfum, une carte postale ou tout autre chose, tant l'imagination des créateurs de produits concernant la lavande est grande. Tous parfumés dans la tête et les yeux, nous reprenons le car, direction un autre lieu réputé, Moustiers-Sainte-Marie. Sur la route, je remarque que les routes allant aux fermettes, au milieu des champs, ne sont pas goudronnées, mais damées avec de petits galets. Ces galets proviennent de l'ancien delta de la Durance et se retrouvent sur les hauteurs, preuve s'il en est des grands bouleversements géologiques qui se sont produits dans cette région, avant qu'une créature humaine n'apparaisse et pousse la coquetterie à se parfumer à la lavandula primus.
L'équipe de la télévision allemande ZDF, nous à suivis depuis l'Assemblée générale, pendant la visite de l'exploitation de lavande et jusqu'au restaurant à Moustiers-Sainte-Marie.

Enfin, au détour d'un virage, MOUSTIERS-SAINTE-MARIE apparaît, blottie au pied d'une immense falaise qui semble vouloir l'avaler.


Blason
Moustiers-Sainte-Marie.





© Photos (2) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014

Avaler fait penser à affamé, c'est l'état de l'estomac de chacun en arrivant, et il est temps de gagner le restaurant qui n'était pas prévu. Au départ ce devait être " La Cascade ", sur une belle terrasse dominant l'Adour, mais ce sera " La bonne auberge ".


Nous nous dirigeons vers l'auberge.
© Photos (1) : C. Rumpler - 18/05/2014

© Photos (8) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014

Descendant du car stationné hors du village, car les rues de celui-ci sont trop étroites, je suggère au groupe de regarder l'étoile accrochée sur une chaîne, entre deux falaises, au-dessus du village. De loin, avec le soleil, elle paraît petite et beaucoup ont du mal à la trouver.


Au milieu de la photo, l'étoile.


Cherchez l'étoile....
© Photos (2) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014


Gros plan sur l'étoile et la chaîne.

Mais prévoyant pour ce genre d'exercice, j'ai une paire de jumelles et elle passe rapidement de mains en mains. La chaîne fait, en réalité, 135 m de longueur et pèse 150 kg (1). L'étoile dorée à l'or fin à dix pointes et un diamètre de 1,25 m et pèse 18 kg. Selon une croyance, pendant les Croisades, le duc de Blacas d'Aups est fait prisonnier par les Sarrazins. Il fait alors le vœu d'accrocher une étoile au-dessus de la chapelle Notre-Dame de Beauvoir s'il arrivait un jour à être libéré. Plusieurs fois au cours de son existence, la chaîne et l'étoile tombèrent au sol, mais furent remplacées. L'étoile que nous voyons aujourd'hui date de 1957. Tombée, elle-aussi en 1995, elle fut réparée. Moustiers est surtout connu pour ses nombreux ateliers de poteries, créés sous Louis XIV, pour remplacer la vaisselle d'or et d'argent destinée à être fondue pour financer les nombreuses et longues guerres du roi soleil. Le premier atelier fut celui de Pierre Clerissy (1652-1728), dont une plaque orne une fontaine-lavoir, non loin de son habitation. On citera ensuite les Olerys, Laugier, Foulque, Pelloquin, Ferrat. Au XVIIIe siècle, 10 millions de pièces furent fabriquées dans les ateliers de Moustiers-Sainte-Marie. Mais ils déclinèrent tous après la Révolution, à cause de l'éloignement de la cité des grandes voies de communication, d'où des coûts de transport trop élevés, l'épuisement des gisements d'argile, le bois se raréfiant et la mode changeant.
(1) Source : Office de Tourisme - Moustiers Sainte-Marie.

Promenade dans les ruelles de Moustiers-Sainte-Marie.


© Photos (7) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014

Ce fut Marcel Provence (nom approprié pour la région) qui fut à l'origine du renouveau faïencier de Moustiers-Sainte-Marie, dans la première moitié du XXe siècle. Il fit réaliser une plaque de bronze, d'après un plâtre du marquis d'Autane, pour rappeler cette renaissance. Tout de suite, je renifle que le village est une usine à touristes. Il y a une trentaine d'ateliers de céramique. Pourtant, il ne manque pas de charme et heureusement n'a pas été défiguré par des constructions modernes et sans grâce. Et là, je joue les lâcheurs. Sachant par expérience le temps que vous allez passer au restaurant et vu le peu de temps accordé après en visite libre, ayant projeté le souhait un peu téméraire de monter à la chapelle Notre-Dame-de-Beauvoir (il n'y a que trois cent marches faites de galets glissants !) pour accéder à ce qui pourrait être un nid d'aigle, le solitaire vous dit " Boujour, à tout à l'heure ! ". Petite déception, le musée de la céramique est fermé pour travaux. Inspection patrimoniale des rues ou des ruelles typiques faite, me voilà dans l'église romane Notre-Dame, longue de 40 m et large de 7 m, un peu sombre. Mais pas assez pour ne pas m'inquiéter en voyant les pilastres de chaque côté de la nef romane pencher vers l'extérieur. Le responsable est sans doute le tremblement de terre qui eut lieu le 23 février 1887. D'où la présence de trois tirants de fer pesant 1,200 kg ensemble pour maintenir les murs. Le chœur, du XIVe siècle, est meublé de très belles stalles du XVIIIe siècle. À l'extérieur, le clocher roman-lombard, à quatre étages, du XIIe siècle, a fière allure. Le temps de prendre un sandwich et de découvrir, en parlant, que la belle boulangère a habité Buchy, un gros village près de Rouen, avant de s'installer ici, de lui demander si la pluie de la Normandie ne lui manquait pas, et me voilà au pied de l'escalier, cité précédemment, pour un moment de sport. Cette grande montée est bordée de petits oratoires constituant un Chemin de croix. Le plus ancien, classé Monument historique, date du XIVe siècle et porte la marque de la famille de Blacas.

Une plaque, fixée en 1920 sur le rocher indique :
" Presounié di Sarrazin,
engimbra coume un caraco
em'un calot cremesin
que lou blanc souleu eidraco,
en virant la pouso-raco,
rico-raco,
Blacasset pregavo ansin
a ti pied, Vierge Mario,
ma cadeno penjarai,
se jamai
tourne mai
a Moustie, dino ma patrio ! "

(Frédéric Mistral,
" Les îles d'or " ; mars 1885)

Diable, ce n'est pas du breton,
pas du cauchois, pas de l'alsacien,
pas du ch'ti, c'est du provençal.
Heureusement, pour mon esprit
grisé par le mal des hauteurs,
la traduction n'est pas loin :




" Prisonnier des Sarrazins,
accoutré comme un bohème
avec un fez cramoisi
que le soleil blanc essore,
en tournant la noria
dont la roue grince,
un Blacas priait ainsi :
à tes pieds, Vierge Marie,
je suspendrais ma chaîne,
si jamais
je retourne
à Moustiers, dans ma patrie ! ".

.
.

Après avoir franchi un pont accroché aux rochers et enjambant le cours d'eau descendant de la montagne, j'arrive à l'entrée de l'église Notre-Dame-de-Beauvoir, à deux-cent mètres de hauteur au-dessus du village. J'examine le fond de la vallée (je ne connais pas le vertige !). À travers une échancrure des rochers, j'aperçois le lac de Sainte-Croix. J'ai l'impression que si je saute, je vais plonger dedans, tellement l'évaluation des distances, à cette hauteur, est faussée. Tout en bas, dans le bourg, les touristes sont devenus des fourmis. Au-dessus de moi, la chaîne et l'étoile sont bien visibles. Pourvu qu'elle ne me tombe pas sur ma tête ! Je verrais alors trente-six étoiles, comme si j'avais abusé d'un petit rosé de Provence.
J'apprends alors que la chaîne n'était pas en place au milieu du XVe siècle et que l'étoile serait simplement un monument votif à Notre-Dame. On ne peut plus croire aux légendes alors, moi qui crois encore au père Noël ? Je suis étonné de la grandeur de l'église, installée dans un replat étroit mais tout en profondeur pénétrant dans la montagne. L'église, commencée au XIIe siècle, a été doublée au XVIe siècle. Il y a un monastère à côté. Il faut bien penser qu'il n'y avait pas d'ascenseur ou de téléphérique à l'époque. Tout le nécessaire pour l'alimentation des moines ou l'entretien des bâtiments devait être monté à dos d'ânes. Le lieu fut l'objet de pèlerinage à ce qui s'appelait alors Notre-Dame d'Entreroches et les fidèles venaient de très loin. Mais il est temps de redescendre, après m'être élevé dans les hauteurs de l'architecture et de l'esprit. Dans le village, je croise quelques anégiens un peu perdus, craintifs de n'avoir pas le temps de prendre son temps pour visiter ou acquérir quelques souvenirs de ce lieu finalement magique. D'autres n'ont rien vu du village ou alors trop rapidement.

Le car nous dépose à l'étape suivante : le pont enjambant le débouché des GORGES DU VERDON dans le lac de Sainte-Croix. Moi qui viens du pays de l'impressionnisme, celui des peintres Monet, Boudin, Corot, Pissaro, et quelques autres, je suis impressionné par les couleurs contrastées et vives de l'environnement. Le blanc des falaises nargue le magnifique bleu du lac, atténué un peu par le vert de la végétation. Le soleil dore tout ce qui n'est pas de ces couleurs. Le temps, ce cruel et continuel ennemi, nous empêche d'aller mettre les pieds dans l'eau, alors qu'une plage de sable en contrebas joue la tentatrice, comme le serpent et sa pomme avec Ève. Du côté du pont où nous sommes, c'est le département des Alpes-de-Haute-Provence. Sur le pont, nous sommes dans le Var. J'ai vraiment l'impression d'être en grandes vacances.

Le lac de Sainte-Croix (en haut et en bas à gauche) et le débouché des Gorges du Verdon dans le lac (en bas à droite).


Débouché des Gorges du Verdon dans la lac de Sainte-Croix.
© Photos (5) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014

Le chauffeur, pour compenser notre frustration, nous emmène sur les hauteurs, à AYGUINES, où il y a un magnifique château au toit de tuiles vernissées. Ayguines était du XVIe au XIXe siècle, spécialisée dans la fabrication des boules cloutées en buis, nommée aussi " boules ferrées ", ancêtres des boules de pétanque. On utilisait la partie haute de la racine de buis, appelée " collet ", sphère compacte qui, travaillée, devenait une boule parfaite. Ce travail était réservé aux femmes, que l'on appelait les " ferreuses ". Quatre fabriques employaient plusieurs dizaines d'ouvriers ou ouvrières. Il n'y avait plus que deux ateliers au XIXe siècle. Mais nous ne sommes pas venus ici pour jouer à la pétanque. L'autre spécialité du village est une liqueur " L'amandine ", faite avec des amandes, des cerises et des pêches. Pêcher dans la perspective d'abuser de cette liqueur n'affleure pas notre esprit. La gourmandise n'est-elle pas un péché véniel ? Dans le magasin, vraie caverne d'Ali-Baba, où on trouve de tout, même de l'inutile, je repère des colliers de perles fabriquées aux Philippines. Ce sont les mêmes perles que l'on utilisait pour fabriquer, en France, il y a quelques décennies, les couronnes et les croix mortuaires. Pour me pencher, en ce moment, sur l'histoire de ces fabrications, et avoir chez moi des échantillons de ces perles dont certaines font seulement un millimètre, je peux vous assurer que ce travail demande beaucoup de temps, de patience et est un vrai danger pour les yeux au bout de très nombreuses années de pratique. Est-ce pour cela qu'on les fabrique maintenant en Asie ? Mais je sors du sujet qui vous intéresse.

Au retour, nous traversons Riez la Romaine et nous voyons rapidement quelques vestiges archéologiques dans le village. Nous ne nous arrêterons pas à Gréoux-les-Bains. Un petit arrêt forcé dans la campagne provençale nous permet de souffler un peu, car Michel Nivoix ne se sent pas bien et quelques pas dehors lui permettront de récupérer sa vitalité.

Vitalité dont nous allons tous avoir besoin ce soir car, après le repas, le mari de Monika Chaumont a amené quelques copains musiciens et une chanteuse, Fabienne Depp, à la voix chaude et mélodieuse, qui nous a charmés mais aussi émus par le choix des textes interprétés. Au cours du repas, les conversations furent animées, certains ont pu être trop bavards, mais tous avaient conscience que les assemblées annuelles de l'ANEG sont le moment unique de nous voir pour beaucoup d'entre nous et de pouvoir communiquer ensemble. Après la remise de fleurs et de cadeaux à Monika, amplement mérités car elle a été l'efficace organisatrice de ce séjour agréable en Provence, place à la danse pour ceux qui n'étaient pas encore trop fatigués.

Avant le repas festif, remise des cadeaux.


Remise du cadeau...

...à Monika.

Remise de notre livre "Des fleurs sur les cailloux" au directeur du centre.

Le cache-pot en faïence de Moustiers-Sainte-Marie offert à Monika.
© Photos (4) : C. Rumpler - 18/05/2014

Pendant le repas festif, les discussions vont bon train.

© Photos (12) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014

Quelques pas de danse... pour la digestion.
© Photos (2) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014

© Photos (1) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014
© Photos (1) : C. Rumpler - 18/05/2014

L'orchestre.


Monika et Fabienne poussent la chansonnette.
© Photos (3) : J. Sauval-Schmutzler - 18/05/2014

Merci Monika, merci à ton mari musicien et à ceux qui l'accompagnaient, merci Fabienne, merci à tout le personnel si gentil de l'hôtel " Regain ", merci à tous ceux qui ont administrativement préparé cette assemblée générale 2014, merci à tous les frères et sœurs présents qui ont fait de ces journées des instants de bonheur, merci à mon chauffeur qui m'a amené et va me remmener à Rouen.


Lundi 19 mai :

Le moment redouté est arrivé : celui des départs, chacun dans son coin de France ou d'Allemagne. À l'évoquer ici même, je ressens un pincement au cœur. Je vais repartir avec mon chauffeur attitré, la valise un peu plus lourde qu'à l'arrivée, car chargée en supplément de quelques pierres, de brochures touristiques et de beaucoup de bons souvenirs.

Mais deux bonheurs, cerises sur le gâteau, vont encore arriver. Sur la route du retour, les Trincal qui nous suivent ont prévu une étape à Alba-la-Romaine (Ardèche), où nous allons visiter l'immense ville gallo-romaine. Puis nous allons faire à nouveau une étape au Puy-en-Velay, où nous visiterons la ville de nuit.

Maintenant, pour ne rien vous cacher, je vais vous faire une confidence. Ce compte rendu a été long à pondre, car au retour, la vie de tous les jours, avec ses tracasseries administratives, le manichéisme de notre société actuelle, m'ont causé beaucoup de soucis pendant les mois d'été. Aussi, la muse grecque Calliope, celle de la poésie épique et de l'éloquence, a été souvent absente. Mais, prise d'une mauvaise conscience, elle est revenue m'inspirer et j'ai pu profiter, malgré un emploi du temps chargé, de ses suggestions.


Alors, écrire ce récit m'a permis de revivre ces moments en Provence.
Ce furent des moments de plaisir, donc de bonheur.



De Rouen (pas Rohan), le 30 octobre 2014
Dominique SAMSON



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