Blason de Duisburg
Des enfants d'hier
aux adultes de demain...

Duisburg - Kempen, du 8 au 10 février 2012.


Drapeau Nordrhein-Westfalen

Les « Enfants de la Guerre »
ont un devoir envers les jeunes générations,
un devoir de mémoire.

Blason de Kempen
*
Puisque nous sommes désormais connus et reconnus officiellement, il nous faut compléter, par nos témoignages, une page de l'Histoire dans laquelle on nous a omis : la Seconde Guerre mondiale. Nous aussi, nous en sommes des victimes innocentes : mais il faut savoir rester dignes en évoquant ce fait, conserver sur ce sujet une attitude juste, nuancée et sans égoïsme. Ne pas raconter seulement une histoire qui nous est familière, la nôtre, mais évoquer aussi toute la diversité de notre association, avec les multiples destins de ses membres. Et surtout, ne pas verser dans le misérabilisme, ni essayer à tout prix de « faire pleurer dans les chaumières » : si dure qu'ait été notre enfance, du moins en avons-nous eu une ; ce n'est pas le cas d'autres enfants innocents évaporés dans la fumée des crématoires.

Ces bases étant solidement établies, il faut prendre son bâton de pèlerin, et porter le témoignage là où nous sommes appelés. Du 8 au 10 février 2012, ce fut en Allemagne, plus précisément aux portes de la Ruhr, à Duisburg et Kempen : j'avais l'honneur d'être ce « pèlerin ».

On ne présente plus Duisburg, premier port fluvial du monde, à cheval sur deux voies d'eau : le Rhin et la Ruhr. Détruite en quasi-totalité pendant la guerre, cette ville de 500 000 habitants, pour une superficie de 234 km², a été reconstruite avec goût et intelligence, mêlant restaurations « à l'identique » et architecture d'avant-garde, tout en ménageant de nombreux espaces verts. Fidèle à sa vocation hautement industrielle, elle est demeurée le premier producteur d'acier en Allemagne.

L'ANEG y était attendue et reçue par l'Association Franco-Allemande de Duisburg, la DFGD (Deutsch-Französiche Gesellschaft Duisburg), brillamment représenté par son Président, M. Wolfgang SCHWARZER, son Trésorier et quelques-uns de ses membres, dont Mme le Docteur Ingeborg CHRIST, rencontrée en 2011 au Congrès de Kiel.
Après un sympathique petit-déjeuner pris en commun au Café du Musée, notre groupe se dirige vers le lycée Steinbart. Outre Mme le Dr CHRIST, francophone éminente puisqu'elle fut Inspectrice pédagogique de notre langue auprès des professeurs de la région, cheminent gaiement, malgré un froid aigre, Mrs Walter WEITZ (lui aussi ancien enseignant de français) et Jürgen DONAT, responsable de la librairie francophone locale. Enfin, deux autres membres encadrent le couple MAUCHAUFFÉE.

Un sympathique petit-déjeuner

Affichette sur la porte du Lycée.
À la porte du lycée, nous sommes annoncés par une affichette, qui me souhaite également la bienvenue. Le Proviseur quitte le cours qu'il est en train de donner (l'enseignement fait partie de son service), et vient nous saluer, précédé de M. Jan KAHLERT, jeune et dynamique spécialiste du français en classes Terminales. L'accueil est royal : boissons et petits gâteaux nous attendent déjà sur des tables à part ; le rétroprojecteur ronronne, prêt au service, Walter a préparé à l'avance les transparents des photos que je vais utiliser ; enfin, deux photographes couvrent l'événement. Une quarantaine de grands « ados » sérieux et attentifs ont pris place dans la salle, ainsi que plusieurs professeurs invités. Je dispose d'une heure pour leur exposer (en français puisqu'ils terminent un cursus d'études de cette langue) notre histoire d'Enfants de la Guerre, et la mienne accessoirement.



Remise du cadeau et des fleurs.
Quand j'évoque les maltraitances, voire les viols subis par certains d'entre nous, les yeux s'écarquillent, les visages tendus, crispés, grimacent avec horreur : oh oui, ils ont compris ce que je dis, même si le professeur a dû traduire le mot « viol » ! Les questions fusent : « Est-ce que personne, alors, ne vous protégeait ? Est-ce vrai que vos mères ont été tondues ? Et vos pères allemands, pourquoi ne sont-ils pas revenus vous chercher ? »
L'heure passe trop vite : j'ai dressé sur mon bureau notre livre « Des fleurs sur les cailloux », ouvert dos au public, ainsi que les deux drapeaux de nos pays dans un petit vase. Walter a écrit au tableau l'adresse de notre site Internet, que certains recopient avec application, tandis que Jan KAHLERT m'offre en leur nom des fleurs et un stylo gravé du sigle du lycée. Beaucoup d'entre eux me sourient gentiment en quittant la salle, avec un « au revoir » dit dans un français chantant.
Nous enchaînons avec l'Hôtel-de-Ville de Duisburg. À mon insu, une rencontre avec le Maire a été programmée : là encore, accolade, accueil chaleureux, pot de l'amitié, remise du « pins » de la ville et... signature du Livre d'Or, préparé tout spécialement.
« En souvenir de ma visite à Duisburg,
où j'ai pû évoquer l'histoire des Enfants de la Guerre.
Dans l'espoir que les jeunes
de France et d'Allemagne soient toujours amis.
Nous, Enfants de la Guerre, avons été les premiers Européens,
enfants de l'amour franco-allemand,
et pas seulement de l'amitié franco-allemande. »


Une Enfant de la Guerre française.

Dédicace sur le Livre d'Or

En aparté, le Maire, M. Benno LENSDORF, me confie aimer profondément la France, où il vient régulièrement faire de la voile. Cette fois, tous les échanges ont lieu en allemand, et je trouve bien agréable de se sentir à l'aise dans les deux langues, même si mon « bilinguisme » est loin d'être parfait !

Après un déjeuner tardif au self de la Mairie, nous flânons dans le cœur historique de Duisburg, où Jürgend DONAT, manifestement amoureux de sa ville, nous fait admirer une statue colorée de Niki de Saint Phalle, voisinant avec la superbe cathédrale gothique. Nous sommes attendus pour 17h00 au centre « Petit Prince », vaste auditorium où la DFGD a ses habitudes. Une centaine de ses membres, dont de nombreux étudiants de l'Université, se sont inscrits pour écouter ma « Conférence sur un sujet d'actualité ». Outre des tables surchargées de gâteaux et de boissons, on trouve une petite exposition de livres traitant du sujet des Enfants de la guerre, ainsi que des brochures annonçant les prochaines activités de l'association, très alléchantes (la DFGD est très active et bien implantée en Rhénanie).

J'ai le temps d'offrir à mes hôtes un exemplaire dédicacé des « Des fleurs sur les cailloux », dont ils connaissent l'existence, mais qu'ils n'ont pû se procurer en Allemagne. Le libraire se montre fort intéressé et souhaite le commercialiser sur Duisburg ; il contactera notre éditeur.
Mais déjà il faut prendre place à la tribune, répondre aux questions de Mme CHRIST, avant de me lancer dans le vif du sujet. Comme entrée en matière, Walter et sa guitare nous interprètent une chanson de circonstance : la Tondue de Georges Brassens, puis une « surprise » m'attend : le premier transparent projeté à l'écran représente... notre Présidente, Jeanine (c'est sa photo du livre !), dont je narre, fort émue, la triste enfance.
Cette fois encore, l'auditoire est captivé : je peux suivre l'émotion suscitée par mes propos en regardant les visages, l'opinement des têtes, parfois les sourires... Quand, finalement, je leur propose d'acheter notre livre, dont j'ai apporté avec moi 16 exemplaires, c'est la ruée ! Détail qui m'émeut beaucoup : on me demande aussitôt de le dédicacer, et tout disparaît en moins d'une demi-heure.
Un dîner « d'au revoir » nous est ensuite offert par la DFGD au restaurant « Zur Laterne », et je ne peux m'empêcher d'évoquer la Lily Marlène / Lily Marlène (version 2) de la chanson, attendant son amour précisément près de la lanterne « bei der Laterne ». Parmi les cadeaux reçus alors, un très beau calendrier, conçu et distribué par l'association, dont chaque page mensuelle s'agrémente de phrases bilingues sur l'amitié.
Pour le mois de mars, un aphorisme à méditer : « Freundschaft ist fern, aber Feindschaft findet man ohne Laterne : l'amitié, on la guette, mais pour l'inimitié, nul besoin de lorgnette ». Ou encore, à l'instar de Saint-Exupéry dans le Petit Prince : « Il n'y a pas de marchands d'amis » : « Freundschaft ist nicht auf dem Markte fiel: l'amitié ne s'achète pas au marché »

Le lendemain, vendredi 10 février, réveil aux aurores : 6h ! J'en cherche d'ailleurs en vain la lueur orangée dans un ciel décidément gris et maussade... Nous avons rendez-vous à 7h40 au Thomaëum Gymnasium de Kempen avec Ingeborg CHRIST et Walter WEITZ (qui y fut longtemps enseignant). Heureusement, dans Kempen, adorable petite ville rhénane de plan médiéval centré sur l'église, les distances sont très courtes.


KEMPEN, vue aérienne.

Cette ville, que je connais depuis 64 ans, est chère à mon cœur, puisque c'est la ville natale de mon père, et le berceau de ma famille allemande. Mais le Thomaëum l'est encore plus, car mon père y a fait toutes ses études, jusqu'à son bac en 1936. Depuis, les bâtiments n'ont pas changé d'une tuile, on y a juste ajouté une extension moderne.

Tandis que nous nous hâtons dans le vent mordant du petit matin, j'ai les jambes en coton, et une grosse envie de pleurer. Tous ces ados, à côté de nous, qui cheminent en discutant bruyamment dans une langue dont la gutturalité m'est familière, ils sont aussi longs et dégingandés que mon père au même âge. J'ai l'impression que son ombre amusée s'est glissée au milieu d'eux, et qu'il marche à mes côtés. Ce chemin, il le faisait chaque matin, avec ses copains ; il longeait le même bâtiment, pareillement situé au centre du même parc, franchissait la même grille de fer forgée... Il n'imaginait pas, alors, les surprises que l'avenir lui préparait.

Escortés de « Pennäler » des deux sexes (c'est le nom de code que les potaches se sont donné depuis des lustres, après avoir affectueusement baptisé leur bahut le « Penne »), nous pénétrons dans la vénérable enceinte, où nous attend le Proviseur, M. Edmund KAUM. La pause-café offerte dans son bureau me permet de recevoir plusieurs brochures concernant le lycée, dont le livre du 350ème anniversaire. Pour la petite histoire, le Thomaëum tire ce nom latin de celui du héros local, Thomas a Kempis. Ce moine, né à Kempen au XVème siécle, est célèbre pour avoir écrit le deuxième livre le plus édité au monde après la Bible : « l'Imitation de Jésus-Christ », sorte de résumé du livre saint, destiné à le vulgariser auprès du grand public, ce qui a assuré la notoriété de son auteur dans le monde entier.

M. KAUM nous conduit vers la salle des fêtes du lycée, ou Aula ; elle non plus n'a pas changé depuis 80 ans, elle est telle que l'a connue mon père. Mais je n'ai plus le temps de m'attendrir, la centaine d'élèves de terminales francophones est déjà installée, le rétroprojecteur chauffe, Walter se débat au milieu de ses transparents : juste le temps d'une photo avec le Proviseur et le public, et « en scène ».

Cette fois, le témoignage est plus personnel : je cite des noms de rues, des anecdotes qui « parlent » aux auditeurs. Ils éclatent de rire quand je leur répète la phrase de « Kempische Platt » ou Kempsch, le patois local, que me disait souvent ma grand-mère : « Müttocken, du bist noch necke Wütte, oh weh ! Zieh mal schnell deine Mufkeus an, sonst werden deine Püttokeus ganz kalt ! Pass op! » : « Petite mère -Mütterchen- , tu es encore pieds nus -nackte Füsse-, attention ! Mets vite tes chaussons, sinon tes petons -Füsschen- seront tout froids. Gare à toi -pass auf- ! ». Ça y est, je suis adoptée, je suis bien une des leurs ! (et encore, ils ignorent que j'adore à me damner le Rübenkraut, cet épais sirop de betteraves produit localement, qui fait la renommée du coin !)


Les deux heures imparties passent ici aussi trop vite, ils posent de nombreuses questions, notamment : « devant cette haine des Français, pourquoi votre père ne vous a-t-il pas ramenées ici avec votre mère ? ». Eux non plus ne se doutaient pas que nous avions eu de telles enfances, de telles souffrances, de telles blessures.

Pour la seconde partie de la matinée, réception à la mairie. L'accueil est encore plus chaleureux, plus émouvant, plus solennel. Les deux journaux régionaux ont dépêché photographes et reporters, la mairie y a ajouté les siens propres. Le Maire, M. Volker RÜBO et son Adjoint, M. Otto BIRKMANN, ont personnellement connu et fréquenté mon père pendant de longues années, dans le cadre du jumelage entre Kempen et Orsay, où nous habitions. Là encore, le Livre d'Or attend la représentante de l'ANEG, et mes hôtes ont eu la délicatesse d'y mentionner l'intégralité de notre dénomination, avec sa traduction en allemand.


Dédicase sur le Livre d'Or.

Remise de fleurs.

M. RÜBO a reçu un exemplaire de « Des fleurs sur les cailloux », dont j'ai préalablement traduit en allemand mon propre témoignage. Mais je ne doute pas que sa fille, parfaite francophone, ne lui raconte les autres, car il est fort intéressé par le sujet. Conséquence inattendue des articles de presse, une habitante de Kempen a voulu aussitôt me rencontrer, étant elle-même Enfant de la Guerre, issue d'un père allemand kempenois et d'une mère norvégienne : nous avons pû échanger longuement nos expériences, nos vécus, et constaté de grandes similitudes de rejet dans nos pays.

Enfin, pour clore cette « ambassade », un dîner amical m'a permis de m'entretenir avec quelques professeurs de français dont les élèves avaient participé le matin à ma prestation : nous avons découvert avec une grande curiosité réciproque le fonctionnement des réseaux d'enseignement de chaque côté du Rhin : l'alignement est encore loin !

J'ai quitté la Rhénanie (quelques jours de tourisme plus tard) la tête bruissante de paroles, les yeux emplis d'images fortes, et le portefeuille débordant de cartes de visites. Rendez-vous est déjà pris pour l'automne au lycée de Moers et sans doute aussi à Essen.

Puissions-nous faire « tache d'huile », et que l'intérêt suscité par nos interventions, leur réussite (si possible relayée par la presse) incitent d'autres enseignants à nous inviter pour témoigner devant leurs élèves.

C'est nous, Enfants d'hier, qui devons sensibiliser les Adultes de demain afin qu'ils veillent attentivement
à ce que la fracture entre nos deux pays ne se rouvre pas.

Et que plus jamais, nulle part, personne ne fasse de mal aux enfants,
sous prétexte que ce sont des « enfants de l'ennemis » !

Car, comme l'écrivait Chateaubriand
« Je suis malheureusement né,
les blessures qu'on me fait ne se ferment jamais ».


Josiane van Mierlo-Mauchauffée
11 mars 2012.


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"VIE DE L'AMICALE
Was sich so alles tut..."