Dernière mise à jour : dimanche 20 décembre 120 à 13h17

1er Congrès des
"Enfants de la Guerre"


9, 10, 11 avril 2005.

(Extraits du compte rendu de Dominique SAMSON du 11 août 2005).

Le vendredi 8 avril 2005, trois choses allaient s'accomplir pour moi qui ai dépassé la cinquantaine depuis un bon moment : je n'avais jamais pris l'avion, je n'étais jamais allé en Allemagne et donc jamais allé à Berlin. Trois vśux que depuis longtemps je souhaitais réaliser.

Cela a pu se faire grâce à l'amitié rencontrée chez des Enfants de la Guerre et à la remarquable et rapide efficacité de quelques uns d'entre eux qui ont trouvé des solutions pour que je puisse participer à ce séjour berlinois.
En effet nous ne sommes pas tous nantis financièrement. Pour cela je ne peux que leur manifester mes remerciements très forts.

Forts comme les moments passés ensemble à Berlin où des amitiés se sont confortées, où l'émotion a souvent été présente quand les récits de chacun nous ont parfois bouleversés, et aussi quand nous avons découvert les restes du mur de Berlin, remarquablement guidés dans toute la ville par Jean-Paul Picaper.

Certains d'entre nous pensaient peut-être qu'ils marchaient là où leur père était passé...
Il y avait beaucoup d'espérance. Certains savaient déjà qui était leur père, d'autres avaient retrouvé de la famille en Allemagne, des liens s'étaient créés. Mais à beaucoup il manquait plein d'éléments dans leur quête : le nom, l'histoire, un visage, une éventuelle famille allemande, un soulagement qui mettrait fin à de trop longues années de souffrance... Mais maintenant, j'en suis sûr, nous ne sommes plus seuls à vivre notre histoire, nous pouvons nous rencontrer, nous confier et apaiser par l'amitié notre malaise à vivre.



*

Vendredi 8 avril : Orly Sud.

Après l'impatience des jours que l'on compte et l'énervement des derniers instants, nous voilà enfin à l'aéroport. Découverte des compagnons de voyage, retrouvailles, embrassades chaleureuses, déjà l'émotion, le ton est donné pour les trois jours suivants.
Chacun porte sur lui un badge avec son prénom, sa ville et le blason de sa région.

Exemple de badge.

Enregistrement des bagages. À 18h30 le vol 4263 d'easyJet nous emmène vers l'Allemagne. Nous sommes régulièrement filmé par Jean-Yves notre cameraman qui va nous suivre durant les 3 jours...


... d'ailleurs je me prépare à lui donner un coup de main.

À l'approche de Berlin, des trouées dans les nuages nous font découvrir un paysage de forêts et de lacs. L'appareil se pose sur l'aéroport de Schönefeld, au sud-est de la capitale. Il pleut. La nuit tombe très vite. Nous sommes accueillis par Jean-Paul, l'initiateur de la rencontre, et par Claudia, chargée de l'organisation, de l'intendance et des transports. Un car nous amène à l'hôtel Bongard, à Reinickendorf, au nord de Berlin dans l'ancienne zone militaire française. Nous y sommes accueillis par Marie-Cécile, la documentaliste de la WASt et l'hôtelière. Nous y dormirons quatre nuits.


Samedi 9 et dimanche 10 avril : visite de Berlin.

Le petit déjeuner est copieux : café, jus de fruit, charcuterie, crudités, petits gâteaux, oeufs encore tout chauds. C'est ainsi que l'on découvre comment on déjeune en Allemagne. Si les yeux des convives ont parfois du mal à s'ouvrir, les esprits en revanche, sont joyeux et bien éveillés.
De l'hôtel, nous pouvons accéder directement aux bâtiments de la documentation de la WASt dont Peter Gerhard est le directeur-adjoint. Il nous délivre diverses informations.

Accès à la WASt - Berlin.
Ansicht - WASt / Vue sur l'entrée de la WASt - 2005.
Eichborndamm 179, D-13403 Berlin.
Photo de M. Peter Kirchhoff,
avec l'aimable autorisation de la WASt.

Dix-huit millions de fiches cartonnées, une par soldat, sont classées et conservées en ces lieux.

Zentralkartei / Fichier central - 2005.
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Photo de M. Peter Kirchhoff,
avec l'aimable autorisation de la WASt.
Zentralkartei - Regalblöcke
Fichier central - Blocs d'étagères - 2005.
Photo de M. Peter Kirchhoff,
avec l'aimable autorisation de la WASt.

Perspektive auf die Regale "Archiv der Kriegsgefangenen"
Vue sur les "Archives des prisonniers de guerre" - 2005.
Photo de M. Peter Kirchhoff,
avec l'aimable autorisation de la WASt.

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Dans la cour, un des bâtiments de la WASt.

Dans la cour de la WASt, un des deux cars
mis gracieusement à notre disposition par la "Bundeswehr".

Une mine d'or pour nous. Mais le filon n'est pas toujours au rendez-vous pour les archivistes. Le classement y est fait dans l'ordre alphabétique des noms de famille. Et certains d'entre nous ne connaissent pas ce nom. Ils n'ont quelquefois que le prénom de leur père, le lieu où il était stationné à telle ou telle époque etc... Les difficultés apparaissent aussi lorsqu'un nom est mal orthographié, lorsque le prénom ou le nom est très commun, ou lorsque le nom est faux.
La fiche donne des informations sur la carrière militaire, le grade, le régiment, les blessures, le lieu et la date de la capture par les forces alliées, le lieu d'emprisonnement, la date de libération, etc...

Le service des soldats décédés possède un fichier de 3 500 000 morts allemands dont 900 000 pour la première guerre mondiale. Selon la convention de Genève de 1929 les soldats ayant péri dans une guerre sont inhumés sur place. 118 000 lieux sont recensés en Russie où sont inhumés des soldats allemands. Des groupes de recherche se sont constitués dans ce pays. Bientôt la recherche sera mondiale.

Peter Gerhard conclut : "Je vous souhaite une bonne visite de la ville que j'habite et où je suis à l'aise depuis que le mur a disparu...". Quand avant de le quitter nous lui demandons s'il a lu le livre "Enfants maudits" de Jean-Paul Picaper, il nous répond : "Je ne l'ai pas lu, je l'ai mangé !". Cette réponse pleine d'humour s'accorde parfaitement à la passion qu'il manifeste pour son travail.
Nous passons ensuite à la visite proprement dite de la WASt guidés par Marie-Cécile, Jean-Paul et Claudia. Dans une grande salle, nous sommes particulièrement impressionnés par l'ambiance qui se dégage de ces longs couloirs entre d'innombrables rayonnages supportant des centaines voire des milliers de boîtes d'archives. Nous sentons presque la respiration des fantômes qui hantent ces lieux.

Jeanine et Marie-Cécile.

Plus émus encore sommes-nous lorsque dans une salle toute proche nous pouvons voir et même toucher toutes sortes de petits objets à première vue insignifiants : montres, portefeuilles, documents divers, photographies d'un être cher, albums, croix, médailles... objets qui pour nous sont de précieuses reliques. Trésors sans propriétaire retrouvés un peu partout en Europe. Tout ce qui reste d'êtres humains disparus à jamais et dont la fin de l'histoire s'est écrite en lettres de sang.



Personne n'est ressorti indifférent
de cette visite.

Le reste de la journée ainsi que le dimanche sera fort occupé à découvrir la ville de Berlin, confortablement installés dans deux cars grand tourisme mis à notre disposition par l'armée allemande...


Nous visitons tout d'abord le village prussien de Lübars en banlieue nord de Berlin où est érigé un monument aux morts de la "Bataille de Berlin (avril et mai 1945)". L'une d'entre nous ramasse au pied d'un arbre un peu de terre du pays de son père...

Monument aux morts de la "Bataille de Berlin".

Puis nous nous rendons pour pique-niquer à Schildow en ex-RDA à l'Hotel-Restaurant "Normandie" tenu par un Français.


Nous revenons l'après-midi à Berlin pour visiter le quartier entourant la place de Potsdam et nous passons devant le célèbre Check Point Charlie.

Check Point Charlie.

Check Point Charlie.

Le dimanche matin nous faisons l'ascension (en ascenseur) de la tour de la télévision de Berlin-Est qui nous est offerte grâce aux relations de Claudia.

La Tour de télévision.

Base de la Tour de télévision.

De là-haut nous découvrons bien sûr toute la ville par les informations que nous donne Jean-Paul. Après quoi nous visitons le plus long vestige du mur de Berlin, surnommé la "East Side Gallery".


Vestige du "MUR" vu du côté Est.
Vestige du "MUR" vu du côté Est.

L'après-midi nous entrons dans le Reichstag et grimpons la rampe circulaire de sa magnifique coupole de verre.

Façade du Reichstag.
Portique d'entrée du Reichstag.

Fronton du Reichstag.

La Coupole de verre, vue de la terrasse du Reichstag.
Intérieur de la Coupole du Reichstag.

Nous avons l'occasion de nous recueillir devant le monument de l' Holocauste récemment construit.
Nous terminons la journée au Caveau de l'hôtel de ville de Reinickendorf où un repas nous est offert par la "Fondation du Pont aérien". Là encore beaucoup de chaleur circulera entre nous.
Le lundi risque d'être chargé en émotion, car plusieurs des nôtres auront la possibilité d'exprimer publiquement ce qu'ils sont venus faire à Berlin.


Lundi 11 avril : Conférence.

Le Dr Dettmer, directeur des archives du Land de Berlin, nous accueille par quelques mots forts : "Vous êtes devenus les catalyseurs de la compréhension allemande... Le travail ne doit pas se consacrer seulement aux héros il doit aussi concerner les martyrs. C'est ce travail qui pourra construire notre avenir...".

Mme Sabine Christiansen, journaliste, animatrice de télévision, ambassadrice allemande de l'UNICEF continue : "Il s'agit pour vous de retrouver la deuxième partie de vos racines. On ne doit pas attendre un âge où l'on fait les premiers bilans, il faut agir avant. Le problème des enfants des guerres se pose partout dans le monde. C'est pourquoi l'UNICEF veut se pencher sur ce problème... Il y a des enfants de l'ennemi, mais il n'y a pas d'enfants ennemis. L'enfant de l'ennemi d'autrefois est devenu notre ami... Dialogues et rapprochements sont des choses que nous aurions dû faire plus tôt...".

Jean-Paul Picaper et Ludwig Norz, présentent ensemble leur livre "Enfants maudits" en langue allemande. Puis Jean-Paul annonce la parution de son dernier livre "Le crime d'aimer".

Maniant parfaitement l'allemand et le français Marie-Cécile Zipperling est souvent sollicitée par nous pour un premier contact avec la WASt et entreprendre des recherches (son témoignage de documentaliste est relaté sur ce site dans la rubrique "Vie de l'Amicale"). Très rapidement son travail est devenu une passion. Ne pas pouvoir donner satisfaction à certains demandeurs est pour elle un véritable déchirement tant elle s'est impliquée dans sa mission.
Elle nous relate des témoignages très forts, très émouvants de mamans et d'enfants de la guerre reçus par courrier : "Pardonner soulagera votre cśur" conseille une maman aux enfants tentés de juger leur maman, "Ce fut une très belle histoire d'amour, vécue pendant la guerre. Il ne m'est resté qu'une bague avant qu'il parte sur le front de l'Est. La cicatrice est toujours là soixante ans après" fait remarquer une autre mère.
J'observe discrètement. Plusieurs personnes pleurent. Je ne suis pas loin de craquer. Un silence lourd, total plane sur la salle...

La parole est ensuite donnée à Stephan Kühmayer de la WASt : "La WASt donne des informations aux familles des soldats morts pendant la guerre, 3 100 000 tués... Elle gère aussi des listes de plaques de soldats, des listes de mutations et de pertes humaines, des avis de captures par les forces alliées, des informations sur les carrières militaires, des lieux d'inhumation, des recherches de journalistes ou d'historiens..."
Puis il énumère les atouts d'une bonne recherche :

- Enquêter comme le ferait un bon détective.
- Être patient et méthodique.
- Faire des recoupements et des vérifications.
- Avoir la connaissance des faits historiques...
Pour donner l'adresse d'un père biologique encore vivant la WASt doit en avoir obtenu de l'autorisation préalable de celui-ci.
Anita, l'une des nôtres, prend la parole la première car elle doit nous quitter plus tôt que prévu. S'adressant directement à son père qu'elle ne connaît pas, elle lit son très beau poème : "Pourquoi es-tu parti ?" (voir sur ce site rubrique "Poème").

Suzanne Panter présente la Fondation privée de l'agence internationale de recherches "Wiedersehen macht Freude" (Se revoir est une joie). Les recherches sont payantes et concernent surtout la période après-guerre. Elles rencontrent un certain succès.
Nous allons prendre notre déjeuner avant de retourner à la conférence en début d'après-midi.

André Szatmary, du Musée des Alliés de Berlin, annonce et présente l'exposition "Tout débuta par un baiser" qui s'y tient depuis le 20 octobre 2005. Elle a trait aux amours entre les femmes allemandes et les soldats des armées d'occupation. Elle montre comment ces femmes ont été traitées politiquement et administrativement.

Plusieurs enfants de la guerre seront maintenant invités à s'exprimer sur leur vécu :

Jeanine, s'adresse aux médias présents afin, du moins elle l'espère, de toucher le plus large public en Allemagne et en Autriche... Elle lance donc son avis de recherche "Qui était Werner ?". Elle ne connaît que son prénom... Elle donne quelques renseignements qu'elle a pu glaner sur lui auprès des personnes âgées de son village d'origine Cambes en Plaine dans le Calvados.
Norbert, concernant la naissance du livre Enfants maudits et de notre groupe, précise : "Norbert a fécondé, Jean-Paul a procréé ". Il regrette que l'Ambassadeur de France présent le matin ne nous ait pas adressé le moindre mot... Aurait-on dû l'inviter ?... La France nous a oublié pendant 60 ans. Cette intervention aurait été effectivement la bienvenue pour la plupart d'entre nous.
Daniel donne son témoignage. Il a demandé la double nationalité en 1995 mais cela lui a été refusé car ses parents n'étaient pas mariés au moment de sa naissance.
Michèle ne connaît ni son père ni sa mère. Elle souffre de "cette incertitude qui est le produit de l'administration française".
Julie, petite fille de soldat allemand, dont nous admirons la maîtrise et la maturité aide son père en souffrance.
Claudine, comme Jeanine précédemment, fait appel aux médias allemands pour l'aider dans ses recherches.

En fin de journée après un débat plutôt animé il est décidé de créer une association. Des volontaires se proposent pour participer à sa réalisation... Demain de bonne heure ce sera le retour en France.


Mardi matin 12 avril.

Lever à quatre heures et demi. Tout le monde a des petits yeux. À six heures Jeanine compte toute sa petite famille dans le car. Il manque quelqu'un. Quelqu'un qui s'est bien réveillé à l'heure mais qui s'est rendormi. Alors là Jeanine tu nous as tous soufflés. Mieux que Superman tu as réagi. Jamais de ta vie tu n'as dû remplir une valise aussi vite !
Huit heures quarante. Un grand oiseau se prenant pour Isis dans les cieux nous ramène en France, faisant le chemin inverse de nos pères. À Orly, les adieux qui ne peuvent être que provisoires sont chargés d'émotion. Reviendrons-nous à Berlin ? Sans doute. En tout cas cela semble bien s'inscrire dans mon esprit.


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"Enfants de la guerre"