Le vendredi 8 avril 2005, trois choses allaient s'accomplir pour moi qui ai dépassé la cinquantaine depuis un bon moment : je n'avais jamais pris l'avion, je n'étais jamais allé en Allemagne et donc jamais allé à Berlin. Trois vśux que depuis longtemps je souhaitais réaliser.
Cela a pu se faire grâce à l'amitié rencontrée chez des Enfants de la Guerre et à la remarquable et rapide efficacité de quelques uns d'entre eux qui ont trouvé des solutions pour que je puisse participer à ce séjour berlinois.
En effet nous ne sommes pas tous nantis financièrement. Pour cela je ne peux que leur manifester mes remerciements très forts.
Forts comme les moments passés ensemble à Berlin où des amitiés se sont confortées, où l'émotion a souvent été présente quand les récits de chacun nous ont parfois bouleversés, et aussi quand nous avons découvert les restes du mur de Berlin, remarquablement guidés dans toute la ville par Jean-Paul Picaper.
Certains d'entre nous pensaient peut-être qu'ils marchaient là où leur père était passé...
Il y avait beaucoup d'espérance. Certains savaient déjà qui était leur père, d'autres avaient retrouvé de la famille en Allemagne, des liens s'étaient créés. Mais à beaucoup il manquait plein d'éléments dans leur quête : le nom, l'histoire, un visage, une éventuelle famille allemande, un soulagement qui mettrait fin à de trop longues années de souffrance... Mais maintenant, j'en suis sûr, nous ne sommes plus seuls à vivre notre histoire, nous pouvons nous rencontrer, nous confier et apaiser par l'amitié notre malaise à vivre.
Vendredi 8 avril : Orly Sud.
Après l'impatience des jours que l'on compte et l'énervement des derniers instants, nous voilà enfin à l'aéroport. Découverte des compagnons de voyage, retrouvailles, embrassades chaleureuses, déjà l'émotion, le ton est donné pour les trois jours suivants.
Chacun porte sur lui un badge avec son prénom, sa ville et le blason de sa région.
À l'approche de Berlin, des trouées dans les nuages nous font découvrir un paysage de forêts et de lacs. L'appareil se pose sur l'aéroport de Schönefeld, au sud-est de la capitale. Il pleut. La nuit tombe très vite. Nous sommes accueillis par Jean-Paul, l'initiateur de la rencontre, et par Claudia, chargée de l'organisation, de l'intendance et des transports. Un car nous amène à l'hôtel Bongard, à Reinickendorf, au nord de Berlin dans l'ancienne zone militaire française. Nous y sommes accueillis par Marie-Cécile, la documentaliste de la WASt et l'hôtelière. Nous y dormirons quatre nuits.
Samedi 9 et dimanche 10 avril : visite de Berlin.
Le petit déjeuner est copieux : café, jus de fruit, charcuterie, crudités, petits gâteaux, oeufs encore tout chauds. C'est ainsi que l'on découvre comment on déjeune en Allemagne. Si les yeux des convives ont parfois du mal à s'ouvrir, les esprits en revanche, sont joyeux et bien éveillés.
De l'hôtel, nous pouvons accéder directement aux bâtiments de la documentation de la WASt dont Peter Gerhard est le directeur-adjoint. Il nous délivre diverses informations.
Eichborndamm 179, D-13403 Berlin. Photo de M. Peter Kirchhoff, avec l'aimable autorisation de la WASt. |
Dix-huit millions de fiches cartonnées, une par soldat, sont classées et conservées en ces lieux.
* Photo de M. Peter Kirchhoff, avec l'aimable autorisation de la WASt. |
Fichier central - Blocs d'étagères - 2005. Photo de M. Peter Kirchhoff, avec l'aimable autorisation de la WASt. |
Vue sur les "Archives des prisonniers de guerre" - 2005. Photo de M. Peter Kirchhoff, avec l'aimable autorisation de la WASt. |
Le service des soldats décédés possède un fichier de 3 500 000 morts allemands dont 900 000 pour la première guerre mondiale. Selon la convention de Genève de 1929 les soldats ayant péri dans une guerre sont inhumés sur place. 118 000 lieux sont recensés en Russie où sont inhumés des soldats allemands. Des groupes de recherche se sont constitués dans ce pays. Bientôt la recherche sera mondiale.
Peter Gerhard conclut : "Je vous souhaite une bonne visite de la ville que j'habite et où je suis à l'aise depuis que le mur a disparu...". Quand avant de le quitter nous lui demandons s'il a lu le livre "Enfants maudits" de Jean-Paul Picaper, il nous répond : "Je ne l'ai pas lu, je l'ai mangé !". Cette réponse pleine d'humour s'accorde parfaitement à la passion qu'il manifeste pour son travail.
Nous passons ensuite à la visite proprement dite de la WASt guidés par Marie-Cécile, Jean-Paul et Claudia. Dans une grande salle, nous sommes particulièrement impressionnés par l'ambiance qui se dégage de ces longs couloirs entre d'innombrables rayonnages supportant des centaines voire des milliers de boîtes d'archives. Nous sentons presque la respiration des fantômes qui hantent ces lieux.
Le reste de la journée ainsi que le dimanche sera fort occupé à découvrir la ville de Berlin, confortablement installés dans deux cars grand tourisme mis à notre disposition par l'armée allemande...
Lundi 11 avril : Conférence.
Le Dr Dettmer, directeur des archives du Land de Berlin, nous accueille par quelques mots forts : "Vous êtes devenus les catalyseurs de la compréhension allemande... Le travail ne doit pas se consacrer seulement aux héros il doit aussi concerner les martyrs. C'est ce travail qui pourra construire notre avenir...".
Mme Sabine Christiansen, journaliste, animatrice de télévision, ambassadrice allemande de l'UNICEF continue : "Il s'agit pour vous de retrouver la deuxième partie de vos racines. On ne doit pas attendre un âge où l'on fait les premiers bilans, il faut agir avant. Le problème des enfants des guerres se pose partout dans le monde. C'est pourquoi l'UNICEF veut se pencher sur ce problème... Il y a des enfants de l'ennemi, mais il n'y a pas d'enfants ennemis. L'enfant de l'ennemi d'autrefois est devenu notre ami... Dialogues et rapprochements sont des choses que nous aurions dû faire plus tôt...".
Jean-Paul Picaper et Ludwig Norz, présentent ensemble leur livre "Enfants maudits" en langue allemande. Puis Jean-Paul annonce la parution de son dernier livre "Le crime d'aimer".
Maniant parfaitement l'allemand et le français Marie-Cécile Zipperling est souvent sollicitée par nous pour un premier contact avec la WASt et entreprendre des recherches (son témoignage de documentaliste est relaté sur ce site dans la rubrique "Vie de l'Amicale"). Très rapidement son travail est devenu une passion. Ne pas pouvoir donner satisfaction à certains demandeurs est pour elle un véritable déchirement tant elle s'est impliquée dans sa mission.
Elle nous relate des témoignages très forts, très émouvants de mamans et d'enfants de la guerre reçus par courrier : "Pardonner soulagera votre cśur" conseille une maman aux enfants tentés de juger leur maman, "Ce fut une très belle histoire d'amour, vécue pendant la guerre. Il ne m'est resté qu'une bague avant qu'il parte sur le front de l'Est. La cicatrice est toujours là soixante ans après" fait remarquer une autre mère.
J'observe discrètement. Plusieurs personnes pleurent. Je ne suis pas loin de craquer. Un silence lourd, total plane sur la salle...
La parole est ensuite donnée à Stephan Kühmayer de la WASt : "La WASt donne des informations aux familles des soldats morts pendant la guerre, 3 100 000 tués... Elle gère aussi des listes de plaques de soldats, des listes de mutations et de pertes humaines, des avis de captures par les forces alliées, des informations sur les carrières militaires, des lieux d'inhumation, des recherches de journalistes ou d'historiens..."
Puis il énumère les atouts d'une bonne recherche :
Suzanne Panter présente la Fondation privée de l'agence internationale de recherches "Wiedersehen macht Freude" (Se revoir est une joie). Les recherches sont payantes et concernent surtout la période après-guerre. Elles rencontrent un certain succès.
Nous allons prendre notre déjeuner avant de retourner à la conférence en début d'après-midi.
André Szatmary, du Musée des Alliés de Berlin, annonce et présente l'exposition "Tout débuta par un baiser" qui s'y tient depuis le 20 octobre 2005. Elle a trait aux amours entre les femmes allemandes et les soldats des armées d'occupation. Elle montre comment ces femmes ont été traitées politiquement et administrativement.
Plusieurs enfants de la guerre seront maintenant invités à s'exprimer sur leur vécu :
En fin de journée après un débat plutôt animé il est décidé de créer une association. Des volontaires se proposent pour participer à sa réalisation... Demain de bonne heure ce sera le retour en France.
Mardi matin 12 avril.
Lever à quatre heures et demi. Tout le monde a des petits yeux. À six heures Jeanine compte toute sa petite famille dans le car. Il manque quelqu'un. Quelqu'un qui s'est bien réveillé à l'heure mais qui s'est rendormi. Alors là Jeanine tu nous as tous soufflés. Mieux que Superman tu as réagi. Jamais de ta vie tu n'as dû remplir une valise aussi vite !
Huit heures quarante. Un grand oiseau se prenant pour Isis dans les cieux nous ramène en France, faisant le chemin inverse de nos pères. À Orly, les adieux qui ne peuvent être que provisoires sont chargés d'émotion. Reviendrons-nous à Berlin ? Sans doute. En tout cas cela semble bien s'inscrire dans mon esprit.