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Histoire de JEHAN
né à AMIENS en janvier 1943.


Voici quelques  Extraits  de mon histoire.



Mon histoire débute en janvier 1943.
En réalité elle commence en 1942 lorsque ma mère rencontra mon père.


Pour sa partie française, l'histoire de ma vie se passe à Amiens, dans la Somme, en Picardie et pour ma famille en Allemagne à Schleiz..., Saarbrücken..., Essen..., Holzen..., Oberhausen...

Mon père, en blanc, et des camarades lorsqu'il était en France,
(on ne sait pas où a été prise la photo).

Pendant la dernière guerre, mon père est venu à Amiens. Ma mère est allée pour s'occuper, faire le ménage là où il habitait, rue de Mercey. Ils se sont aimés et je suis donc né en janvier 1943. J'habite toujours dans cette ville...
Ma mère voulait m'appeler Johan. Comme c'était un prénom allemand il a été refusé. On lui a proposé de le remplacer par celui de Jehan. Mes deux autres prénoms sont ceux de mon père.

Mon père venait souvent nous voir, chez ma mère et mes grands-parents, non loin de l'endroit où il logeait. Il me promenait en landau et m'a appris à marcher dans la rue. Il était très aimé des voisins de ma mère. Notre ancienne voisine de cette époque se souvient très bien de cela.
Peu de temps avant la libération d'Amiens, il est reparti en disant à ma mère qu'il reviendrait quand tout serait terminé.

À cette époque mon père avait un chien. Les seules personnes qui pouvaient s'approcher de moi étaient ma mère, mes grands-parents et bien sûr mon père. Il dormait et montait la garde au pied de mon berceau. Il était très gentil. Il est resté avec nous après le départ de mon père. C'était d'après ma mère un chien policier. Mon père n'étant plus là pour participer à sa nourriture, ma mère, au bout d'un certain temps, a dû se séparer de lui avec beaucoup de regrets. Il ne faut pas oublier qu'il y avait des tickets de rationnement.
Une commerçante du quartier que ma mère connaissait bien et qui possédait une chienne de la même race a bien voulu le prendre. Elle pouvait lui donner toute la nourriture dont il avait besoin. Maman et moi allions régulièrement faire les courses à pied, dans cette épicerie de la rue Saint-Acheul. Cette dame savait que nous allions venir car il se mettait à hurler. Nous l'entendions dans le magasin. Il sentait que nous étions là...

Malheureusement, il ne s'est jamais adapté à sa nouvelle famille. Pourtant il avait tout ou presque, mais nous lui manquions et il s'ennuyait trop. Il est mort de chagrin. Nous avons eu beaucoup de peine.
C'était un Berger allemand. C'est sans doute pour cela que cette race de chien est ma préférée.

Ma grand-mère et moi
dans la cour de la maison où je suis né (1943),
(photo sans doute prise par mon père).

Photo de mon père
à l'époque où il a connu ma mère.
Photo prise en France, on ne sait pas où.
Ma mère et moi
tels que mon père nous a connus (1943).
Portrait par A. Boutemy 8, rue Flatters - Amiens

Maman connaissait la date de naissance de mon père à 8 jours près, son nom, ses prénoms ainsi que le nom et le prénom de sa femme. Elle savait qu'ils avaient deux enfants, un garçon et une fille qui devaient avoir en 1968, l'année de mes premières recherches, entre 30 et 35 ans.

Dès que j'ai été en âge de comprendre, j'ai toujours su que mon père était allemand. Ma mère ne m'a jamais rien caché. Je lui en suis très reconnaissant. Grâce à elle, malgré mes origines, j'ai eu une enfance et une adolescence très heureuses, pour ainsi dire sans problème. J'avoue que j'ai eu aussi des grands-parents formidables.
Dans ma famille maternelle, on ne m'a jamais mis à l'écart. Je dois même dire que l'on m'aimait beaucoup. C'est à ma mère seulement que certains membres de cette famille en voulaient. Mais cela s'est arrangé, plus ou moins, avec le temps.

Après la guerre, voyant que mon père ne revenait pas, elle s'est adressée à la Croix-Rouge à Genève pour savoir où il se trouvait, sans succès.

Maman allait, avec moi, voir régulièrement les cartomanciennes qui disaient presque toutes que mon père était vivant. Un jour une a dit qu'il était mort (nous n'y sommes jamais retournés), une autre qu'il avait eu un très grave accident mais qu'il n'était pas décédé.
Maintenant, nous savons que c'est vrai et que c'était un accident de moto !

La moto de notre père.

Dans mon enfance, j'ai été bercé par deux chansons que me chantait ma mère : " J'ai deux amours " et " J'attendrai ". Les deux amours de ma mère étaient mon père et moi.
Mais c'est surtout la chanson " J'attendrai " / " J'attendrai " - (2) qui résumait le mieux notre situation à cette époque. C'est pour moi " LA " chanson de cette enfance.

Après le décès de mes grands-parents, en 1954 et après avoir attendu son retour pendant 12 ans, maman s'est remariée en 1955. C'est à cette époque que j'ai vu pour la dernière fois la photo de mon père et celle de mon frère et de ma sœur enfants. Mais celle de mon père était restée gravée dans ma mémoire. Elle les a détruites pour ne pas gêner son nouveau mari.
Je dois reconnaître que j'ai été très heureux avec lui. Il est malheureusement décédé tragiquement en 1964.

Quatre ans après la disparition de mon beau-père, en octobre et novembre 1968, j'ai repris moi-même les recherches grâce aux renseignements donnés par ma mère. J'avais à cette époque 25 ans.
D'après elle, mon père devait habiter avant la guerre à Saarbrücken. J'ai donc écrit au " Rathaus " de cette cité. Ses services m'ont indiqué qu'il demeurait maintenant à Sulzbach. J'ai pris contact avec les autorités de cette ville qui m'ont signalé que la famille de mon père avait déménagé à Fulda. Tout de suite, j'ai contacté la ville de Fulda qui m'a informé que la femme de mon père habitait bien dans cette ville, mais que celui-ci et ses enfants n'avaient pas été trouvés. Découragé par cette réponse, j'ai attendu un an avant de reprendre contact.
En novembre 1969, j'ai formulé une nouvelle demande de recherche aux autorités de cette ville. J'ai su que mon père et ses enfants n'avaient jamais habité là et que pour m'aider elles me donnaient l'adresse de son ex-femme. Cette année là, j'avais préparé pour elle une lettre que j'ai toujours à l'état de brouillon, mais je n'ai pas osé l'envoyer de peur de la gêner.

Et pendant 34 ans, j'ai arrêté toutes les recherches. Pourtant, j'avais toutes les cartes en mains pour les retrouver. J'ai repris les recherches en 2004 avec les mêmes renseignements qu'en 1968-1969, pas plus.

C'est en 2003 qu'un généalogiste belge a vu sur notre site, dans notre généalogie, une demande d'aide afin de retrouver mon père. Il a donc contacté, avec mon accord, des généalogistes allemands et les services de la " WASt " à Berlin, mais cela n'a rien donné. Une fois de plus, la réponse fut négative.



L'année 2004 marquera pour moi un grand tournant dans ma vie,
il s'est en effet passé beaucoup de choses.

En mai, suite à la parution du très beau livre de Jean-Paul PICAPER et Ludwig NORZ " Enfants maudits ", et à l'émission télévisée " Enfants de Boches " sur les enfants français nés de père allemand, j'ai décidé avec l'aide de ma femme de recommencer les recherches.

J'ai réécrit à la " WASt ", une première fois sans résultat. Alors j'ai communiqué à Marie-Cécile ZIPPERLING d'autres renseignements ainsi que les photocopies de mes recherches de 1968-1969.

Nous avions décidé en juillet, ma femme et moi, d'aller courant septembre en Allemagne à Saarbrücken, pour reprendre les recherches à zéro.
Mi-août nous étions dans les villages et cimetières de la Manche, sur les tombes des ancêtres de ma femme. En rentrant tard le soir, j'ai trouvé dans notre boîte aux lettres le courrier et particulièrement un de la WASt. Je n'ai pas osé l'ouvrir de peur d'avoir, une nouvelle fois, une réponse négative et je l'ai posé dans la cuisine. C'est ma femme qui a ouvert et lu cette lettre.

Et ce qui avait jusque-là échoué,
cette fois a réussi, un vrai miracle !

C'était Marie-Cécile qui nous annonçait qu'elle avait retrouvé mon père, qu'il était mort à Essen et qu'elle cherchait maintenant, si elle pouvait trouver ses enfants ou sa famille. J'ai eu ce soir là, je dois l'avouer, beaucoup de mal à m'endormir. Il est donc mort deux ans avant ma mère.
Il faut dire que tout cela a été rendu possible grâce à Marie-Cécile. Je ne saurai jamais assez la remercier car sans elle, je n'aurais peut-être pas retrouver ma famille. Grâce à elle et à ses collègues, de nombreux enfants ont retrouvé la leur. Il ne faut pas oublier que la WASt est un passage obligé pour nos recherches.

J'ai envoyé tout de suite un courrier électronique au Rathaus d'Essen pour demander, si mon père qui était décédé dans cette ville y était inhumé et si oui, dans quel cimetière? Quelques jours plus tard, nous avons reçu une réponse positive. On nous donnait le nom du cimetière où il se trouvait.

Première visite sur la tombe de mon père.
Photo prise le 13 septembre 2004.

Nous sommes partis comme prévu le 13 septembre sur sa tombe. Je n'oublierai jamais cet instant où nous nous sommes retrouvés face à face. Ce fut très dur pour moi de le trouver là après 61 ans de recherches et d'attente.
Mais maintenant je savais qui j'étais et d'où je venais.
C'était pour moi la fin d'une partie de ma vie, mais surtout, le début d'une autre.

Nous nous sommes rendu au " Rathaus " de la ville pour chercher son acte de décès et à celui d'Holzen pour avoir son acte de naissance.

Entre temps, à Amiens, j'avais trouvé à Essen par Internet sur l'annuaire allemand, un prénom et un nom qui correspondaient à ceux de mon frère, à une adresse près du cimetière où reposait mon père. J'étais sûr que c'était lui. Après avoir eu l'acte de décès, il s'est avéré que cette adresse était la bonne. Nous sommes allés devant la maison et, à mon grand regret, nous n'avons pas osé sonner. Le lendemain nous y sommes retournés et avons seulement fait une photo. Pour ne pas brusquer les événements, nous avions décidé d'écrire à mon frère à notre retour ne sachant pas qu'il était déjà au courant.
En rentrant chez nous, une autre lettre de Marie-Cécile nous attendait. Cette fois j'ai ouvert moi-même le courrier. Elle nous donnait l'adresse de mon frère. Maintenent c'était sûr, c'est bien sa maison que nous avions photographiée...
Ma nièce, la fille de ma sœur, a téléphoné à Marie-Cécile pour l'informer que sa maman préparait une lettre et des photos pour moi et qu'elle serait enchantée de faire ma connaissance. Ma sœur et mon frère ignoraient totalement mon existence.

Nous avons donc échangé lettres et photos (enfin une de mon père !). La ressemblance avec mon père et mon frère est incroyable.

Ma sœur et son mari sont donc venus nous voir en novembre 2004, chez nous, avec leur fille ma nièce. Ce fut une rencontre très forte, chargée en émotions. J'ai eu, ce jour, d'autres photos de ma famille dont une de mon père. C'était celle que j'ai connue à la maison dans mon enfance.

Mon père avant la guerre (année indéterminée).
C'est cette photo que j'ai connue
à la maison, dans mon enfance.

En mars 2005, nous sommes allés chez ma sœur où nous avons fait la connaissance de mon frère, un moment émouvant, très attendu par Françoise et surtout par moi car c'était notre première rencontre, de sa femme, de mon neveu (le fils de ma sœur) de sa femme et de ses enfants.

Mes petits-neveux, les enfants du fils de ma sœur, sont venus chez nous en vacances, en juillet août 2005.

Mon père habitait à côté de son fils et sa belle-fille. Il leur parlait très souvent de la France qu'il aimait beaucoup et d'Amiens. Il disait aussi qu'il voudrait bien y retourner. Eux ne comprenaient pas. Ils pensaient qu'il avait peut-être eu une petite amie dans cette ville. Maintenant ils savent pourquoi.
Il y avait en effet, là-bas, deux personnes aimées qu'il n'avait jamais oubliées. Comme cela a dû être dur pour lui !

Depuis que j'ai retrouvé ma sœur et mon frère, connaissant mieux l'histoire de ma famille en Allemagne, je comprends pourquoi papa n'est pas revenu en France. Je ne lui en veux absolument pas. Maintenant je sais qu'il ne nous avait pas oubliés. Il avait ses raisons et ne pouvait vraiment pas faire autrement.
Je regrette seulement de ne pas l'avoir vraiment connu. Mais cela est entièrement de ma faute, j'aurai dû persévérer dans mes recherches en 1969.

Voilà, la vie parfois nous réserve de merveilleuses surprises.
Quelle belle revanche sur le destin !
C'est toujours un immense bonheur de nous retrouver.
Nous espérons tous profiter le plus longtemps possible de notre rencontre afin de mieux,
nous connaître, nous comprendre et rattraper une grande partie du temps perdu.

Il faut croire en la chance et ne jamais désespérer.
Cette histoire en est la preuve !


Jehan.
Août 2005.


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