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Histoire de VIVIANE

née à PARIS le 28 janvier 1943.



En réalité mon histoire commence à Pithiviers en 1941.

Je suis née le 28 janvier 1943 au 194 rue du Faubourg Saint-Antoine à Paris, sous le nom de " Brunet " et le prénom " Viviane ", de père inconnu et d'une mère qui ne m'a jamais reconnue.


Viviane à 6 mois. 1943.

J'ai été conçue à Pithiviers. Ma mère avait 30 ans et on l'appelait Marcelline la fière.


Qui sont ces femmes à côté de maman et de moi ? 1943.


Ma mère Marcelline et moi à Paris. 1943.


Mon père, à gauche avec sa casquette, et son frère.
Photo prise à Vienne.

Pour l'état civil et la succession de ma mère je ne suis la fille de personne, je suis un enfant adultérin, illégitime et en quelque sorte je n'existe pas.

Mes grands-parents maternels étant divorcés, la garde de ma mère, de son frère et de sa sœur a été confiée à mon grand-père et le plus jeune, confié à ma grand-mère qui s'est empressée de le mettre à l'assistance publique.

Ma mère a retrouvé son plus jeune frère vingt ans plus tard, tout a fait par hasard, dans une ferme de Sully-sur-Loire.

Mon grand-père est parti travailler en Algérie avec ses enfants et ma mère s'y est mariée très jeune.


Mariage de Viviane en 1960. Elle avait 17 ans et 10 mois.


Viviane en mariée. 1960.

À la suite de graves problèmes conjugaux, avec son époux, elle est revenue dans les années 1937-1938 à Pithiviers chez la tante Lucie, une sœur de ma grand-mère maternelle.

Ma mère ne m'a jamais abandonnée, malgré les recommandations de ma grand-mère de mettre sa bâtarde à l'Assistance publique.

J'ai été élevée sans amour, et pourtant j'étais un enfant désiré, un enfant de l'amour.

Ma mère étant très croyante, j'ai été baptisée en 1945 à l'Église Saint-Éloi à Paris. Mon parrain et ma marraine sont de parfaits inconnus choisis par le curé de la paroisse.

Mon père était également catholique. Je l'ai appris à Düsseldorf, par son acte de naissance et de décès.


Le père de Viviane. Photo prise à Vienne.

Je me sentais différente des autres enfants de mon âge, mais je ne savais pas pourquoi.

C'est vers 6 ans à l'école primaire de la rue de l'Arbre-Sec, à Paris, dans le 1er arrondissement, que le ciel m'est tombé sur la tête lorsque la Maîtresse a dit, en me montrant du doigt, toi la fille de boche. J'ai senti, dans mon cœur d'enfant, de la haine envers moi, j'étais tétanisée.


École de filles, rue de l'Arbre-Sec à Paris.
Viviane est au 3ème rang, 2ème à droite.

Elle, elle savait ainsi que l'assistante scolaire qui avait le don de m'humilier en me trouvant tous les défauts : j'était moche, nonchalante, trop grosse pour mon âge, elle me regardait avec des yeux ronds comme si j'étais un extraterrestre, idem pour le médecin scolaire. J'étais triste et honteuse.

J'étais de santé fragile, comme beaucoup d'enfants de la guerre d'ailleurs, et cette assistante scolaire n'avait aucune humanité. La honte et la tristesse m'animaient car j'avais été humiliée devant mes petites camarades de classe.

Tout le monde savait sauf moi que j'étais la fille d'un boche. Même Jacqueline, mon amie d'enfance, savait.

À partir de ce jour là, mes camarades ne voulaient plus jouer avec moi. Pendant la récréation, elles chuchotaient derrière mon dos, j'étais la pestiférée, " la fille de boche ", on m'a même craché dessus. Il faut savoir que pendant et après-guerre, les enfants étaient élevés dans la haine du " boche ". Seule, Jacqueline ma cadette, mon amie d'enfance, ma sœur de cœur, la cousine de mon futur mari, jouait avec moi. Nous étions Jacqueline et moi dans la même école et ses parents étaient amis avec ma mère.

À la maison je n'ai rien dit sur cet épisode douloureux et je me suis renfermée sur moi- même, des questions plein la tête.
Mais qui est donc mon père ? J'avais honte. La nuit, je pleurais en silence.

J'étais dans le doute, mon père était certainement un méchant allemand, peut-être un horrible " nazi " puisque je ne savais rien de lui. Mais, au fond de moi, je sentais que mon père ne pouvait être méchant et la suite de mon histoire m'a donné raison.

Nous avons vécu avec ma mère et ma sœur cadette, née 26 mois après ma naissance, sans papa à la maison. Ma sœur était la chouchoute de ma mère. J'étais souvent giflée à cause d'elle. Pourquoi ?

Puis un homme est arrivé à la maison, notre futur beau-père, un creusois, ancien prisonnier de guerre, communiste jusqu'au bout des ongles, responsable de bureau à la SNCF à Paris XII. Il était très intelligent et cultivé mais il avait un terrible défaut.
En 1949 le divorce de ma mère a été prononcé, j'avais 6 ans.


Viviane enfant.

En octobre 1951, Georges a épousé ma mère, Marcelline, à la Mairie du 1er arrondissement de Paris, j'avais 8 ans ½ et ma sœur 6 ans. Quelle idée d'épouser cet homme qui nous rendait la vie impossible. Peut-être croyait-elle obtenir une vie plus confortable et un statut social ?
Ma mère nous a confiées à la voisine de palier, le temps de la cérémonie, elle avait peut-être honte d'être fille mère !

J'ai su plus tard que Georges voulait nous reconnaître et qu'elle avait refusé. Je lui en ai voulu longtemps, je resterais une bâtarde toute ma vie.

Après ce mariage il fallait appeler son mari " papa ", je me suis rebellée, non et non, lui, ce n'est pas mon papa et j'ai commencé à poser des questions à ma mère qui, malheureusement, sont restées sans réponses.
Cela ne me concernait pas, disait-elle, c'était sa vie pas la mienne.

Ensuite ce fut la dictature à la maison, avec un Georges alcoolique qui battait ma mère. Il lui faisait des crises de jalousie dès son retour du travail, car elle était agent de service à l'école.
Il avait le temps de boire avant le retour de maman.

L'heure c'était l'heure, repas à 11h45 et le soir à 18h45. Interdiction de parler à table Il fallait lui demander la permission pour tout. Un soir où il avait bu plus que d'habitude il a planté une fourchette dans la main de maman. Il faisait aussi des crises de delirium.

À l'époque nous habitions dans le quartier des Halles, tous les soirs, c'était la même comédie, nous étions terrorisées, il nous mettait à la porte de l'appartement et nous dormions une partie de la nuit dans les escaliers, en compagnie de prostituées qui se réfugiaient dans les étages pour éviter les rafles de la police.
Une fois Georges calmé, maman nous ouvrait la porte pour finir la nuit dans notre lit.

J'étais malgré tout dans les premières de la classe. C'était ma façon à moi d'exister et je me disais peut-être que si mon papa était un allemand gentil et qu'il revenait, il serait fier de moi et m'emmènerait avec lui.

J'ai toujours espéré retrouver mon père et cela m'a aidée à vivre une enfance et une adolescence perturbées par l'alcoolisme de mon beau-père.
J'étais la seule fillette blonde de la famille et cela m'intriguait.

Un jour j'ai posé la question à ma mère qui m'a répondu par un mensonge. Elle m'a dit qu'elle avait perdu ses cheveux à cause d'une fièvre typhoïde, contractée en Algérie et que, lorsqu'ils avaient repoussé, ils "étaient devenus châtains très foncé ". J'ai des photos de maman enfant, elle n'a jamais été blonde.

Et ce violon, posé au-dessus de l'armoire, à qui appartenait-il ?
Un jour, il a disparu, car maman l'avait vendu. J'ai pleuré sans savoir pourquoi. Maintenant je sais, c'était le violon de mon père.

D'autres nombreux mensonges ont suivi, j'ai compris depuis que c'était pour se protéger elle et son autre fille, ma sœur cadette. En réalité nous n'avions pas le même père.

À 10 ans, j'ai fait une chute dans l'escalier de notre immeuble en revenant de l'école, j'ai dû monter seule le reste des marches pour entrer à l'appartement.
J'ai souffert en silence trois jours et trois nuits puisque j'étais soi-disant douillette. La jambe et le corps couverts d'hématomes, mon beau-père a enfin décidé de me conduire à l'hôpital avec mère. J'ai fait le trajet sur ses épaules, la jambe pendante, en métro car un taxi c'était trop cher.

Arrivés à l'hôpital, le médecin leur a passé un savon. Je l'entendais hurler car il était temps que je reçoive des soins : j'avais une double fracture déplacée du tibia péroné, ainsi qu'une fracture de la cheville et du genou.
Je suis restée plusieurs mois plâtrée et alitée. Jacqueline me rapportait des devoirs à la maison, car je voulais apprendre.

 
 
Viviane à 12 ans. 1955. 
 Viviane à 15 ans. 1958.

En 1957, mon Certificat d'études en poche, ma mère a décidé de me mettre dans une école de haute couture à Paris XVII. Ce n était pas mon choix, encore une fois c'était le sien.
J'ai passé trois ans dans cette école où nous avions aussi des cours de puériculture et autres matières, ainsi qu'une langue étrangère, mais uniquement l'Anglais et surtout pas l'Allemand. Pourtant j'aurais bien voulu apprendre la langue de Goethe.

En 1960, le jour de mon mariage ma mère a promis à mon mari de me reconnaître, mais elle ne l'a jamais fait et pourtant elle avait encore trente quatre longues années à vivre...


Wilhelm Schmitz, dans sa 66 ème année
un peu avant sa mort.

À 29 ans et trois enfants j'ai repris des études tout en travaillant la nuit, à l'hôpital.

En 1974 mon beau-père est décédé, à 59 ans d'avoir abuser de l'alcool et du tabac mais avant de mourir il m'a réclamée. Pourquoi ? Je n'ai jamais su car je suis arrivée trop tard.

Quelques mois après le décès de Georges, maman m'a montré un médaillon en forme de cœur, s'ouvrant en deux parties et contenant deux photos : une de ma mère et une de mon père.

C'est à ce moment là qu'elle m'a dit que mon père s'appelait " Willi " (diminutif de Wilhelm), qu'il était plus âgé qu'elle, qu'il était très gentil mais qu'il était marié et avait déjà deux grands enfants et qu'il ne s'entendait pas très bien avec sa femme, à Düsseldorf.
Mais pas de nom de famille, ni de date de naissance, mais quelle l'avait toujours aimé.

Elle m'a donné l'appareil photo de mon père, un Kodak à soufflet dans une grande sacoche en cuir blond avec un trépied, ses jumelles de théâtre et deux mini-dictionnaires de poche : l'un en Anglais et l'autre en Français.
Puis fin de l'épisode ! Je n'ai pas pu en savoir plus. Mais j'avais récupéré un trésor ayant appartenu à mon père.

Cette année là je suis tombée dans une profonde dépression inexpliquée, je pleurais sans raisons, je ne dormais plus et d'après le psychiatre je n'étais pas un cas intéressant.

J'ai mis cela sur le compte de la fatigue, travaillant la nuit, ou de l'accident de la route de mon mari cinq ans auparavant, ou encore de la maladie très grave de ma fille cadette à 9 mois. Avec le recul, je pense que c'était un malaise beaucoup plus profond en rapport avec mon histoire.

En 1994, ma mère décède en emportant ses secrets.

Ma sœur et son mari n'ont pas attendu que ma mère soit sous terre pour me dépouiller de ma part d'héritage et d'en faire profiter leurs enfants.
D'après le mari de ma sœur, mes enfants n'avaient aucun droit, ils étaient des bâtards puisque moi, leur mère, j'étais une bâtarde.

Ma mère n'a jamais aimé mes enfants et sur son lit de mort, elle m'a reniée. Pourquoi ?
Je ne le saurais jamais et pourtant j'ai beaucoup aimé ma mère.

Le médaillon avec la photo de mon père a disparu, mais j'ai trouvé des lettres de mon père et une carte postale de l'auberge où il travaillait avant et après sa captivité.
En lisant ces documents, j'ai beaucoup pleuré, quel gâchis. Pourquoi ma mère m'a-t-elle caché la vérité ?

Oui mon père m'aimait, il demandait de mes nouvelles, il était triste que je sois malade, il disait que cela lui faisait mal au cœur, qu'il ne pouvait pas envoyer un colis de joujoux, parce qu'à ce moment-là, il était pauvre comme jamais auparavant. Il me souhaitait un bon anniversaire, il avait bien reçu les photos qui lui avaient fait très plaisir.

Dans une autre lettre, il disait : " plus de trois ans que je pense à vous derrière les barbelés, prisonnier de guerre en Angleterre, en Belgique, en Afrique et en Amérique, mais malheureusement pas en France ", car disait-il : " j'aurais trouvé un moyen de venir vous voir et maintenant, en ce vilain pays qui s'appelle l'Allemagne, je ne reconnais plus rien, ni cet endroit, ni ce peuple et je n'aime pas y rester ".

Il demandait aussi des nouvelles des personnes qu'il avait connu à Pithiviers, dont la famille Mirloup, Madame Cramer, patronne de la charcuterie où ma mère était employée de maison, Monsieur Dresch et des anciens prisonniers de guerre français : " qui se rappellent bien de moi ", citant des noms, demandant à ma mère si elle avait conservé leurs adresses. Car lui, en partant en captivité, avait détruit son carnet et en attendant il leur passait le bonjour. Il demandait également si elle avait toujours son tailleur et son habit gris. Il ne lui reste que son tailleur bleu de Pithiviers.

Sa maison avait été bombardée à la fin des hostilités, il avait tout perdu, il ne lui restait que ses habits de captivité.

Mon père écrivait aussi que maman s'était trompée sur la date de son anniversaire, que c'était le 2 novembre et non le 2 décembre.

En 1948, il écrivait : " Pour étudier les possibilités me permettant de voyager en France, j'ai été au Consulat Général Français demander des renseignements. J'ai voulu pouvoir te raconter un succès mais hélas à l'heure actuelle je ne peux pas encore aller en France, même pas comme travailleur libre. Mais nous aurons de beaux jours devant nous. Quand tout renaît à l'espérance et que l'hiver fuit loin de nous. À la radio ils ont joué cet après-midi " j'attendrai toujours ", m'attendras-tu encore ? ".

Sur une lettre en bas de la page le nom, le prénom et l'adresse de mon père à Düsseldorf. Enfin une piste!

Le 19 décembre 1994, j'écris à la rédaction de l'émission " Perdu de Vue " et le 23 janvier 1995, TF1 me répond que mes informations sont insuffisantes pour engager une enquête, mais la chaîne a joint à son courrier les coordonnées de la Rédaction VERMIBT, une émission similaire de la télévision WDR à Düsseldorf, mais je n'avais pas de photo de mon père.

Aussitôt j'ai contacté, par téléphone, la famille Mirloup à Pithiviers pour glaner quelques renseignements supplémentaires sur mon père qu'elle a bien connu.
Micheline me répond que c'était à ma mère de me le dire, mais maman est décédée. Rien à faire, Micheline n'en démord pas. Je suis désespérée.

Ma fille Laurence écrit une longue lettre avec une supplique adressée à Micheline qui lui répond en lui disant qu'il serait fier d'elle, que c'était un homme exceptionnel, un être humain parfait et que beaucoup de Pithivériens lui doivent la vie et qu'il était anti-nazi.
J'ai aussi reçu une lettre avec une photo de mon père, prise dans l'auberge où il travaillait.

À 52 ans, j'apprends la vérité sur mes origines et sur mon père.

Il est arrivé en 1941 à Pithiviers, parlant et écrivant parfaitement le Français. Il était chargé de la correspondance et des lettres de dénonciation à la Kommandantur, lettres qu'il détruisait avec l'aide de Micheline.
Des planques et filières étaient organisées, avec la famille Mirloup, maraîchers et d'autres familles pour les évadés juifs. Le code entre les Mirloup, leur fille Micheline et mon père était : " Est-ce que vos fleurs sont arrivées ? ". Un jour, ils ont été dénoncés.


Viviane.

Le 18 février 1995, j'écrivais à la rédaction de l'émission " VERMIBT ".

Le 19 mai 1995, je recevais une lettre qui disait " nous avons trouvé votre demi-sœur et votre demi-frère qui ne sont pas morts. Nous avons une émission de télévision le 25 mai, pouvez-vous venir ce jour ? Pouvez vous nous téléphoner ? ".
J'ai appelé dès réception de la lettre, j'attendais depuis si longtemps.

À Düsseldorf, le nom de " Schmitz " est très répandu et c'est grâce à la photo que Micheline m'a envoyée, ainsi que la carte postale de l'auberge où travaillait mon père, que ma famille a été retrouvée. Ils avaient les mêmes photos, en Allemagne.


L'auberge où travaillait mon père, à Düsseldorf.

Dès que j'ai posé les pieds sur le sol allemand,
j'ai eu l'impression d'être chez moi depuis toujours.


Nos retrouvailles se sont passées au studio de la WDR, avant l'émission qui a été enregistrée.

Mon frère voulait savoir, mais ma sœur n'a pas voulu venir ce jour là, car pour elle, ce n'était pas possible : " Papa n'a pas pu faire ça ". Cela m'a chagrinée.
Mon père était idolâtré par ses autres enfants en Allemagne. Mon frère m'a rassuré en me disant " ne t'inquiète pas, Anne-Marie viendra à la grande fête pour les 70 ans de Trudi, au mois d'août ".

Je sais que cela a été un choc pour eux, mais pour moi c'était devenu une véritable obsession il fallait que je les retrouve.

Après l'émission je suis restée quelques jours chez mon frère et sa femme.
Nous avons visité Düsseldorf, une très belle ville, berceau de ma famille allemande. Nous sommes allés à l'auberge où mon père a travaillé et nous avons rencontré des collègues beaucoup plus jeunes que mon père qui se souvenaient de lui et en plus, qui parlaient français.
Mon père était très apprécié et leur a laissé un très bon souvenir. Il a travaillé jusqu'à l'âge de 65 ans et la maladie l'a emporté dans sa 66ème année.


Le serveur, debout derrière les clients,
est le père de Viviane de retour de captivité.
Photo donnée par Micheline.


Viviane et son frère, dans le métro de Düsseldorf. Mai 1995.

Mon frère m'a emmenée sur la tombe de notre père, à Düsseldorf, et m'a prise en photo.
J'ai eu un choc, Agnès, la femme de mon père était née un 19 janvier comme Marcelline, ma mère.
Mon père avait 13 ans de plus que ma mère.


Viviane sur la tombe de son père
et d'Agnés sa femme.

J'ai pleuré, mon père était né le 2 novembre 1900 et il est décédé le 24 juin 1966 emporté par la maladie.
Ma fille cadette est née le 5 novembre 1966.

J'étais mariée et il aurait pu connaître au moins deux de ses trois petits-enfants. Mais ma mère avait rompu sa relation à cause de mon beau-père.
Ma mère savait que mon père était décédé et elle ne m'a rien dit, pourquoi ? Je sais désormais qu'elle avait des nouvelles de mon père par Micheline.

Quelques jours après, la rédaction m'a remis la K7 enregistrée de l'émission " VERMTBT ". Dommage que ma sœur ne soit pas venue à l'émission, ce jour là.
Le soir, tous les voisins de mon frère ont vu l'émission retransmise en différée à la télévision et sont venus nous féliciter.

Mon frère m'a donné des photos de notre père.
Je suis repartie en France, la valise et la tête pleine de souvenirs heureux et, le cœur rempli d'émotions.
Nous étions attendus, avec mon mari, pour la grande fête du 26 août.

Mon frère avait dit à tous ses voisins que sa sœur française allait revenir, il avait acheté un drapeau français et monté les couleurs dans son jardin.
Ma sœur est arrivée la dernière, traînant un peu les pieds et sa file m'a dit " c'est vous la fille de mon grand-père ? ".
Elle m'en veut encore un peu d'avoir brisé le mythe de son grand-père. Il faut laisser le temps au temps.


Les retrouvailles avec mon frère et ma soeur. Août 1995.


Mon frère regardant le drapeau français.

Ma sœur et moi sommes tombées dans les bras l'une de l'autre, l'amour fraternel nous a rapprochés tous les trois et ce fut une belle fête inoubliable.

Mon frère faisait partie de la chorale de Düsseldorf. Tous étaient présents et nous avons chanté la Marseillaise, l'Hymne Allemand et beaucoup d'autres chansons comme : Lili Marlène...
C'était très émouvant et irréel. Un moment très fort... Nous, la famille française étions à l'honneur. J'ai découvert que ma famille allemande était merveilleuse, généreuse et tolérante et que curieusement, mon frère n'avait que des amis de mon âge, 20 ans de moins que lui.


Mon frère avec la chorale de Düsseeldorf. Août 1995.

Mon frère m'a dit qu'il était désolé, qu'après le décès de notre père, la famille avait brûlé des lettres écrites en français et des photos d'enfant.

Personne ne savait en Allemagne. C'était peut-être le jardin secret de mon père ?

Puis ils sont venus, plusieurs fois d'ailleurs, en France, en bateau avec des amis allemands ou en voiture.

Nous avons échangé beaucoup de lettres.
Malheureusement, mon frère a disparu, brutalement, ainsi que sa femme et le mari de ma sœur. Ils étaient mes aînés de 20 ans.

Il me reste ma sœur de 83 ans, ma nièce et son mari, sa fille ma petite nièce et des amis allemands.
Mon frère n'a pas eu de descendants, car à 20 ans il a été envoyé sur le front russe et il a reçu une décharge de mitraillette sur toute la partie gauche du corps. Malgré cela, il n'avait aucune haine envers la Russie. Il disait que c'était la guerre.
Avec Gertrude, sa femme, ils accueillaient tous les ans chez eux des enfants de Tchernobyl.

En décembre 2007, j'ai reçu le plus beau Noël de ma vie, l'acte de naissance intégral de mon père, avec les noms et prénoms de mes grands-parents allemands, ainsi que son acte de décès.

Puis le 6 février 2008, j'ai reçu une lettre de Marie-Cécile Zipperling de la WASt, retraçant le parcours militaire de mon père, ainsi que la photocopie d'une photo d'identité figurant dans la documentation archivée.

Grâce à Marie-Cécile, j'ai appris que mon père avait été incorporé à l'âge de 39 ans, qu'il était sous-officier depuis novembre 1940.
J'ai le numéro de sa plaque d'identité et son numéro de prisonnier de guerre.
Le courrier de Marie-Cécile confirme le contenu des lettres de mon père.


Photo de mon père retrouvée par Marie-Cécile
dans la documentation archivée de la WASt.

C'est un très beau cadeau et aussi beaucoup de travail de recherche, je la remercie vivement. Elle est le lien indispensable pour la recherche de nos pères.

Merci aussi à notre Présidente, Jeannine, qui sait être à l'écoute et nous soutenir dans nos moments de déprime.
Merci aussi à Chantal, Jeanne, Huguette, elles savent pourquoi. Elles aussi sont des enfants de la guerre.

Malgré une vie bien remplie avec un mari, trois enfants et six petits- enfants, je ressens toujours le manque de mon père et l'amour dont j'ai été si privée, privée aussi de ma famille allemande. Mais c'était la guerre.

L'espérance un mot que je connais bien, elle m'a permis de supporter mes douleurs d'enfant et d'adolescente.
Le secret et les non dits ont bouleversé ma vie entière.

De mon père " Wilhelm Schmitz " nous sommes dix descendants franco-allemands et, européens avant l'heure.

Le 24 avril 2008, l'intervention à Berlin de notre Ministre des affaires étrangères, Monsieur Bernard Kouchner, a proposé un geste pour nous " les enfants de la guerre ".

J'attends beaucoup de la reconnaissance de notre identité franco-allemande, pour moi et mes enfants, pour mes souffrances et mes blessures de l'enfance.
Peut-être que cette reconnaissance apaisera la fin de ma vie.
J'ai déjà commencé des démarches dans ce sens, auprès de la Chancellerie.

Nous " les enfants de la guerre ", nous sommes des victimes innocentes de cette guerre qui nous a privés de nos pères.

Non, mon père n'était pas un méchant allemand, mais un anti-nazi.

Il ne faut jamais mentir à ses enfants, quelques soient leurs origines, c'est criminel.

Maintenant que je sais que j'ai le droit d'aimer mon père et, avec ses petits enfants et arrières petits-enfants, nous sommes fiers de lui.

Il faut toujours espérer et surtout ne jamais désespérer, l'espoir fait vivre.

Viviane
23 mai 2008


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