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Histoire de Erick
né en 1960


Mon père s'appelait Werner Schoder. Il est né en 1926 à Netzschkau, une petite ville du Vogtland (Saxe) à une quarantaine de kilomètres de la frontière Tchèque. En 1943 il est incorporé à la division Panzer n°352 (celle qui combattra à Omaha Beach), et envoyé en Normandie.

Werner Schoder, père d'Erick.
Werner Schoder, père d'Erick (Gros plan).

Le 6 mai 1944 il est blessé et envoyé dans un hôpital militaire. Il s'agit de l'hôtel Royal à Évian-les-Bains que l'armée allemande avait réquisitionné.
Le 21 aout 1944 à la libération, Werner est fait prisonnier par les FFI et envoyé dans le camp de Novel, prés d'Annecy, dépôt n°143.
Au moment où il est parti de Netzschkau, mon père terminait son apprentissage de maçon.
Tous les prisonniers allemands servaient de main d'œuvre pour les entreprises qui venaient les chercher au camp.
L'entreprise de Mr Zenoni l'a employé jusqu'en 1948, avant de lui proposer un contrat de travail au titre de travailleur libre. L'entrepreneur était très satisfait de mon père qui s'est rapidement intégré.

Pourquoi est il resté à sa libération en 1948 ?

Les nouvelles de chez lui ne sont pas bonnes. Sa mère est décédée en 1942 juste avant son départ, et son père décède en 1946. Il n'a pas de nouvelles des siens. En parallèle, les autorités du camp suivant des directives vraisemblablement nationales, utilisent tous les moyens pour faire de la propagande dans le but d'inciter les prisonniers allemands à rester en France.
Werner fait son choix, et prend le départ d'une nouvelle vie.
Sa sœur Anna entreprend des recherches avec l'aide de la Croix-Rouge et retrouve Werner ainsi que Herbert (un frère, parti combattre en Afrique).


Werner, Denise et Erick.


Joëlle belle fille de Werner, Werner père de Erick, Alain beau fils de Werner,
Denise mère de Erick et Erick sur les genoux de Joëlle.

Mon père est alors bien intégré à la vie locale du petit village de Saint-Gingolph (frontière avec la Suisse) où il travaille et vit sa vie de jeune homme. Âgé maintenant d'une trentaine d'année, il va faire la connaissance de Denise, alors employée au Grand Hôtel de France.
Ma mère est veuve et a deux enfants, Joëlle et Alain.
Denise et Werner vont se marier en 1958 et auront ensemble un fils, Eric, en 1960.


De gauche à droite : Werner, Anna et Herbert.

Au milieu des années 60, les premières retrouvailles entre Anna, Werner et Herbert ont lieu. Une fois à Gelsenkirchen chez Herbert, une fois à Thonon où la famille s'est maintenant installée. Jamais chez Anna ; il faut dire que depuis 1949 la RDA a été créée et les gens ne circulent plus librement du moins pour aller vers l'ouest. Anna n'a pas de problème pour sortir de l'ex-RDA. En effet plus âgée que ses deux frères, elle est retraitée ce qui pose beaucoup moins de problèmes pour aller et venir. Anna décédera en 1975.

La vie se déroule tranquillement, bien que toutes les questions concernant sa jeunesse et sa vie d'enfant en Allemagne sont toujours évitées ou restent sans réponse.

En 1989, le mur tombe. Herbert propose alors à son frère de retourner dans leur village natal.
Ma mère fait partie du voyage. Sur place ils iront visiter Erwin, un autre frère et en se rendant à Dresde ils seront accueillis par une autre sœur, Gertrud.
Ma mère ne parle pas un mot d'allemand mais s'interroge sur tous ces gens rencontrés lors de ce voyage en Saxe.

En 1992, Werner décède d'une embolie pulmonaire.

Le temps de la quête.

Toutes ces questions restées sans réponses me hantent de plus en plus. Je vais rendre visite à Herbert avec ma mère, mon épouse et mon fils. Ce séjour à Osnabrück (où il s'est désormais établi) est très agréable, mais les questions que j'essaie de lui poser dans un allemand approximatif restent toujours sans réponse.

Au travers des documents retrouvés et des certificats divers qu'il a fallu demander en Allemagne lors du décès de Werner, on découvre qu'il eut dix frères et sœurs.

Je suis allé deux fois à Netzschkau mais sans succès. La difficulté des recherches, les problèmes de langue me laissent peu d'espoir.

Par le plus grand des hasards, j'apprends que la chaine de TV Arte veut faire une émission sur la généalogie et cherchent des sujets à traiter. Je les contacte et leur propose mon histoire.
Ils sont intéressés et vont travailler en France et en Allemagne avec des généalogistes français et allemands.

Les recherches.

Avec les résultats communiqués par la WASt sur "le parcours" militaire de mon père, l'équipe d'Arte concentre ses recherches au Fort de Vincennes où sont conservées toutes les archives des PGA dès que l'armée française a "géré" la situation. Des renseignements indiquent une piste en Saxe. André Berchtold se charge des investigations outre-rhin.

Un an après notre première rencontre, l'équipe m'emmène en Allemagne et me présente une cousine, devant la maison familiale. Elle m'explique que les Russes les ont expropriés de leur maison et que la famille s'étant retrouvé à la rue a dû se débrouiller pour faire face.
Ils y sont parvenus mais ont dû se séparer.
Ma cousine m'a emmené chez elle et là, la surprise monumentale... Trois autres cousines étaient là, une petite cousine et un petit cousin aussi.
Toute cette nouvelle famille que j'avais cherchée si longtemps, dans le trop petit séjour d'un appartement de Netezschkau. C'est inoubliable et je garderai longtemps le souvenir de ces chaleureux contacts et de cette impression incroyable de sentir pousser ses racines comme si elles avaient enfin trouvé leur place.

Les e-mails, les lettres et les coups de fil rythment les mois en attendant les périodes où les uns et les autres auront des vacances pour se rendre visite. Ma cousine Petra est venue France en juin dernier avec son ami Bernd. C'était magique... Et de la voir en pensant que nous avions les mêmes grands parents me donnait une réelle impression de vertige.
Je suis allé dans le Vogtland avec mon épouse et j'y ai revu les cousines avec en plus leur mari et leurs enfants. Nous avons fait de gargantuesques barbecues, bien arrosés, et nous avons passé de longues soirées à bavarder, à feuilleter les albums photos. Malgré la barrière de la langue, nous nous sommes toujours compris et nous attendons avec impatience de nous revoir, j'espère très prochainement.

Erick.
Janvier 2009.


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