Histoire de Edwige B.

né en 1944.



Rappelez-vous du courrier des lecteurs du 23 Octobre 2008,
je vous informais d'une bonne nouvelle :

"j'ai retrouvé ma Maman" !

Bonjour à tous, je m'appelle Edwige B.

J'ai une bonne nouvelle ! J'ai retrouvé ma Maman le 29 août 2008. J'avais repris mes recherches au retour de Saint-Malo. Grâce aux différentes histoires entendues ce jour-là, grâce à de nouvelles rencontres sympathiques, à l'accueil chaleureux des responsables de l'Association et à l'intervention de Mr Guillet, j'ai été re-motivée, le résultat est positif.

Maman est près de Dijon, elle est entourée de ma sœur, de mon frère et de ses petits-enfants. J'ai donc une nouvelle famille. Les contacts téléphoniques, Internet et courriers m'apportent beaucoup de bonheur. Nous avons le projet de nous voir assez vite, mais avant, nous devons accompagner notre fils qui se marie le 18 octobre en Bretagne. Beaucoup d'événements cette année. Comme dit ma petite sœur "c'est que du bonheur".

Au final, c'est une belle histoire car on oublie des années difficiles, et si je la raconte, c'est pour qu'elle donne espoir à tous ceux qui cherchent, il ne faut pas perdre confiance, il faut écrire, téléphoner, parler surtout et ne plus garder des choses lourdes, cela empoisonne la vie. Maintenant que j'ai mon Histoire, mes enfants sont heureux pour moi, car je suis plus sereine, encore très émue, mais tellement heureuse d'avoir réussi.

Merci à l'A.N.E.G.
Merci à mon mari qui m'a soutenue.
Merci à ma nouvelle famille de me faire confiance.

Bon courage à toutes et à tous, il faut y croire car on doit connaître nos racines. Pensons que les années passent vite, et nous seuls avons le devoir de mémoire pour nos enfants et petits-enfants.

Pour l'instant c'est juste un résumé, il y aura des choses à raconter plus tard.

Amitiés.
Edwige B. - 23 octobre 2008.

*

Certains enfants de la guerre débutent par faire ouvrir leur dossier à la DASS, ce que j'ai fait en octobre 2005. J'ai attendu près de 6 mois l'autorisation du TIG (tribunal de grande instance) de Laval et 1 mois le transfert de Laval à Nantes.

Rendez-vous fut pris en juillet 2006 à la DGAS de Loire-Atlantique avec la responsable de l'unité d'adoption et aussi une psychologue. De mémoire c'était la première fois que je rencontrais une psy.

La rencontre fut très chaleureuse, de l'écoute, de l'émotion des deux côtés. J'apprends que je suis née en Allemagne, d'une maman Polonaise et d'un papa Français, déportés pour le travail volontaire ou pas volontaire (STO). Ils se sont aimés, et je suis arrivée dans ce monde tumultueux en octobre 1944 en Bavière.

En 1945, fin de la guerre, OUF ! Enfin presque...

Mon papa est rentré le premier en France, maman l'a rejoint plus tard, mais il était sur le point de se marier ou déjà marié. Comme papa a oublié de s'occuper de nous, maman s'est retrouvée seule avec sa petite fille, sans argent, sans famille, ne parlant et n'écrivant pas le Français et n'étant pas prioritaire dans ce pays disloqué par la guerre.
Tant bien que mal, elle a travaillé à droite à gauche, comme ouvrière agricole, allant traire les vaches, parfois jusqu'à 60 par jour, donc pas beaucoup de temps pour s'occuper de son enfant.

Elle se fait aider par un Français pour me placer provisoirement, moyennant un peu d'argent qu'elle proposait pour subvenir à mes besoins, mais elle n'était pas payée régulièrement, et donc je suis déclarée assez vite par l'assistance publique de l'époque "enfant abandonnée".

Maman a voulu me retrouver, on n'a pas pu lui dire que j'étais placée chez une nourrice depuis l'âge de 2 ans (peut-être que j'avais fait une fugue, allez savoir) et j'y suis restée jusqu'à 10 ans en portant le nom de ma mère. Ensuite, j'ai été adoptée en janvier 1955. Commence une autre histoire, qui a laissé d'autres douleurs, je n'en dirai pas plus.

En août 2006, je reçois un courrier du Conseil général de Nantes : ils avaient écrit au consulat de Pologne à Paris pour retrouver maman, mais réponse négative, et puis plus rien.

Ensuite j'adhère à l'ANEG, Jeanine me donne très aimablement une piste pour écrire aux archives de Caen. Plus précisément, c'est Mme HIEBLOT qui un jour m'appelle, et dans la conversation me demande si j'avais un document confirmant mon abandon par ma mère. Là je suis restée abasourdie car je n'avais rien dans mon dossier.

Suite à çà j'ai baissé les bras, je me disais : maman est repartie en Pologne, ou elle est décédée, mais je n'arrivais pas à admettre qu'une personne disparaisse comme ça.

Les mois passent, je mets mes enfants au courant de mon projet, ils sont d'accord, mais ils ont leur vie, leurs soucis alors j'ai gardé pour moi mes déceptions, heureusement mon mari me soutient beaucoup.

La nouvelle année 2008 débute, on reçoit les documents pour l'Assemblée générale de l'ANEG à Saint-Malo ; on aime bien Saint-Malo pour y avoir passé un week-end en amoureux en 1986, l'année difficile des licenciements en rafale dans la navale sur Nantes, mais aussi l'année de la coupe du monde de foot. C'est notre 1ère A.G., mais auparavant, nous avions fait une petite rencontre au restaurant à Vertou sous la directive de Jean-Paul, avec quelques adhérents du Pays-de-la-Loire, nous étions une dizaine, c'était sympa et de ce fait on se retrouvait moins seuls qu'à Saint-Malo. N'empêche que les nouveaux arrivants avaient le stress, tant de monde !

Là j'ai compris que je n'était plus seule, que des histoires il y en aurait,
il fallait écouter pour s'en rendre compte.

Le séjour fut enrichissant, bien organisé avec du beau temps, des échanges et des amitiés nouvelles, dans une belle région. On s'écoute, on s'encourage, les intervenants qui arrivent en soirée, nous demande de ne pas baisser les bras, cherchez, écrivez, parlez, foncez, c'est ce que j'ai retenu tout au long du séjour. Merci Laurent.

Après Saint-Malo, j'ai réfléchi, et repris mon dossier en main. J'avais comme information les endroits où maman avait travaillé, puisqu'elle était étrangère, elle s'inscrivait en mairie sans doute pour ne pas être dans la clandestinité.

J'écris dans l'Orne le 18 juillet 2008. Une réponse, son nom paraissait dans le recensement en 1946 (j'ai un code) et en 1954, elle a quitté la commune avec une autre famille. En même temps je fais la même démarche dans les Hautes-Alpes, là on retrouve son passage, grâce à son titre de séjour, et surtout qu'elle venait d'une commune de Côte-d'Or.

Je m'adresse aux archives de ce département qui ne trouvent rien, mais me conseille d'écrire aux archives d'une petite commune de la Côte-d'Or. Tiens donc, serait-ce une bonne nouvelle ? Je ne me réjouis pas trop vite car sur Internet j'ai vu un petit village de 500 habitants, pas loin de Dijon, mais pourquoi pas. L'histoire avançait, je me prenais au jeu.

Le 18 août, j'écris à cette mairie et attends sereinement, bien occupée en ce temps de vacances, 8jours, 10 jours, 12 jours... Puis, ce dimanche 29 août à 18h45 grand boom au téléphone. Un homme cherche Mme Bertreux sur Couëron.

Là je pourrais raconter avec plus de détails le dialogue, il y avait un mélange de doute, de peur, il lui a fallu beaucoup de patience pour me convaincre que j'avais retrouvé ma Maman : il a eu cette phrase en me tutoyant : il faut bien te le dire : quand on cherche on trouve un jour.

Cet homme, c'est le mari de ma demi-sœur, il est passionné de généalogie, il n'est pas emprunté pour contacter les gens, donc quand sa femme lui a dévoilé son secret après avoir lu la lettre de la Mairie (elle était au courant de mon existence depuis longtemps) et pour elle c'était évident que j'était sa sœur. Il s'est lancé à ma recherche sur Internet.

Maman a donné son feu vert pour que la commune me donne ses coordonnées, mais je savais déjà qu'elle était vivante.

Faut-il parler de l'émotion, du choc après le coup de fil, ce fut un chambardement dans ma tête, j'ai mis 3 semaines à retrouver l'équilibre, tantôt soucieuse, tantôt heureuse. Je devenais la grande sœur (1m 55) d'une sœur, d'un frère. Maman a 90 ans, elle a une santé fragile, mais consciente que j'ai fait beaucoup de démarches pour la retrouver. Pendant un temps elle craignait que j'avais fait tout çà pour lui faire des reproches. Pas du tout, je voulais lui dire "ne t'inquiète plus, je suis heureuse". Toutes ces années je savais que maman avait des circonstances atténuantes, qu'elle n'a pas eu de soutien, et qu'elle a dû souffrir moralement.

Voilà le tracé de mes recherches, cela paraît simple, mais on ne mesure pas l'espoir de réussir, ou la peur de l'échec total. Maintenant, je suis sereine, j'ai rassuré maman lors de nos deux visites, j'ai le respect de son âge, de sa mémoire qui lui fait défaut, elle s'est habituée à garder son secret tant d'années, je ne veux pas la perturber.
Quant à moi, j'ai balayé mes craintes, je ne suis pas fautive d'être abandonnée puisque c'était faux.

Voici mon histoire, j'espère l'avoir exposée le plus simplement possible, avec mes mots, mes fautes et j'espère que cela donnera espoir à tous ceux qui cherchent. Les bonnes nouvelles qui arrivent, on les prend et on les partage.

Merci Jehan et Françoise de votre disponibilité auprès de nous tous.

*

Depuis nous sommes allés la voir, les retrouvailles se sont passées chez ma sœur. Maman est arrivée sûrement très anxieuse, mais souriante, les yeux larmoyants, ce face à face, restera gravé dans ma mémoire.

Edwige et sa maman le jour de leurs retrouvailles.
Edwige, sa maman et ses frères et sœurs.

Je faisais ce rêve depuis 63 ans, c'est réussi. Je retrouve aussi un frère, des neveux, des nièces, une grande famille. J'ai aussi une réponse aux raisons de notre séparation.

Maman devait partir dans différents départements comme aide à la ferme pour subvenir à mes besoins, puisque mon papa avait oublié de s'occuper de nous deux.
Elle m'a déposée à l'assistance publique (sans vouloir m'abandonner), mais un jour, elle a voulu me revoir et personne n'a pu lui dire où j'étais... aurais-je fait une fugue à 2 ans ?
Comme dit Maman : il ne faut pas revenir en arrière, regardons devant, elle a raison, à 89 ans rien ne sert d'avoir des rancunes envers des événements que nous avons subits.

Nous avons passé une bonne semaine très chaleureuse, à aucun moment nous n'avons eu des doutes sur nos retrouvailles, d'ailleurs, ma sœur n'attendait que ça, puisque Maman l'avait mise au courant de ma naissance. Il faut associer Jean-Claude qui a été le premier à me contacter, ce coup de fil, je ne l'oublierai pas, mon mari non plus.

Mais les bonnes choses ont une fin ; il fallait rentrer à la maison, car la famille et les amis nous attendaient, très touchés par l'événement aussi. Nous devions leur apporter la bonne nouvelle : Maman a bien voulu me revoir, merci Maman !

Aujourd'hui on se reconstruit une famille, sans changer les habitudes des uns et des autres.
Le but de mes recherches a toujours été de pouvoir rassurer Maman, en lui disant que j'étais heureuse, avec nos deux fils et notre petit fils que nous adorons.
Notre famille s'agrandit, car notre fils Jérôme s'est marié le 18 octobre 2008 avec Corinne, il nous reste plus qu'à attendre la nouvelle génération qui nous comblera de bonheur !

Voici la suite de mon histoire en raccourci, car il y a tant de choses à dire. Au final, c'est une belle Histoire qui mérite d'être racontée : je rappelle que, je suis née en 1944, d'une mère Polonaise et d'un père Français qui se sont aimés pendant leur déportation en Allemagne, en Bavière, donc une "enfant de la guerre ". J'aimerais bien savoir s'il y a un cas similaire dans les adhérents de l'association.

Deux évènements très forts de l'année 2008.
Ce n'est que du bonheur ! disait Marité... ma petite sœur...

Merci à Alain et Françoise de Troyes.
Bons souvenirs.

Edwige.



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