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Histoire de Frédéric
né à PARIS le 4 juin 1944.



Avant-propos

Cette histoire je viens de l'écrire avec mes mots, mais aussi avec mon cœur, elle est pour moi très belle. Difficile à raconter, c'est la première fois que je la livre si détaillée avec le risque de la voir divulguée et critiquée par des milliers de personnes.
C'est ma pierre à l'édifice de l'amicale, ma participation est pour l'instant très modeste, mais mes obligations nous éloignent momentanément. Je serai en Allemagne le 13 juin à Dresden pour le mariage d'une petite fille de ma sœur Erika. J'y rencontrerai pour la première fois les tout derniers membres de ma famille allemande. Une grande joie aussi de revoir cette belle ville de Dresden qui mérite vraiment que l'on s'y attarde.
Je suis dans l'attente de ma double nationalité, mon dossier à été finalisé fin février et je l'ai remis en main propre à Mr FLOTH à l'Ambassade d'Allemagne à Paris. Je croise les doigts et guette le facteur tous les jours.


Frédéric MONTHUY

*

Cette page blanche devant moi me fait peur, comment écrire son histoire sans prendre le risque d'oublier des détails importants, de sublimer ce qui ne doit pas l'être ou de maudire quelqu'un qui ne le mérite pas.

Rudi, mon papa - 1941.
Papa, quelques mois avant sa mort - 1962.

Thérèse Fossier à Paris,
avant ma naissance.
Maman dans les années 80/90.

J'ai le nom de MONTHUY comme patronyme et Frédéric comme prénom, je suis né le 4 juin 1944 à Paris, date facile à retenir, ma maman Thérèse FOSSIER, jeune célibataire de 24 ans, fut libérée d'un fardeau quelques jours avant que le début d'une grande page d'histoire ne s'écrive en lettres de sang. Est-ce que pour elle ce fut également la fin d'une belle histoire, sans espoir de revoir l'être qu'elle avait aimé très fortement ? Je ne pourrai répondre à cette question mais je me la suis souvent posée lors des commémorations du 6 juin 1944.

Mon père Rudi, son épouse Helene et mes quatre soeurs.

Première visite à mon papa - 15/03/2006.

Comparativement aux histoires douloureuses racontées par d'autres "enfants de la guerre", je n'ai pas eu une enfance malheureuse, avec seulement quelques remarques désobligeantes dont je ne comprenais pas le sens à cette époque de ma jeune vie. Pourquoi ce semblant de quiétude autour de moi, cette protection contre les méchancetés des adultes, je pense avoir la réponse aujourd'hui.

Tout d'abord de la part des parents de Jean MONTHUY, compagnon de ma mère et père de mes deux sœurs jumelles, ces gens étaient capables de m'interdire la table d'anniversaire de mes sœurs pour que je ne profite pas du gâteau. Ma mère se séparera quelques temps plus tard de son compagnon. Il m'a donné son nom en me reconnaissant en janvier 1948, qu'il en soit ici remercié, mon enfance aurait été sans doute plus dure sans le nom d'un père sur les documents administratifs.

Ma grand-mère maternelle ne fut pas toujours tendre avec moi les jours où l'alcool avait été absorbée plus que de raison, les mots "fils de boche" fusaient parfois dans la rue en m'invectivant pour tout le déshonneur que je représentais pour elle. Ces souvenirs sont restés gravés dans ma mémoire avec d'autres plus douloureux mais sans rapport avec cette histoire.

Avec mes deux soeurs jumelles,
j'ai 6 ou 7 ans.
Maman et mes deux soeurs jumelles,
en 1949 ou 1950.
Avec mon jeune frère Sandra,
vers 1956 à Paris.

En 1950, ma mère rencontra un nouveau compagnon, Ariel Doressamy, militaire hindou de Pondichéry, comptoir français à l'époque, père de mes deux frères, un homme d'une bonté envers moi qui mérite d'être soulignée, je fus son fils jusqu'à ces derniers instants, j'en suis certain. Je lui dois d'être aujourd'hui un homme honnête et respecté grâce à son éducation pleine de rigueur mais aussi pleine d'amour.

Vous constaterez que je n'ai pratiquement rien à dire sur les souffrances des "fils de boche" comme ces récits si graves et si émouvants racontés par bon nombre d'entre nous. C'en est presque culpabilisant et je m'en excuse auprès de ceux qui ont tant souffert d'être des "enfants de la guerre".

Je vais être plus étendu sur l'histoire de la recherche de mon père biologique.

Nos premières secondes ensemble - 12/03/2006.

Quatre jours ensemble... c'est court ! - 16/03/2006.

Le bonheur à Honfleur - 11/05/2006.
Visite de deux de mes soeurs en Normandie - 11/05/2006.


Ma soeur Gisela chez elle à Dresden - 17/03/2006.
Même si Erika parle français, le dictionnaire est parfois utile.

Gisela ma deuxième soeur, Jochen son mari et Hanno,
le fils de ma dernière soeur encore vivante.
Christina ma dernière soeur, chez elle à Breitnau
près de Freiburg - 03/04/2006.

Erika à Livarot avec son mari Wolfgang - 16/10/2006.

En 2005, j'ai passé une période difficile moralement, due sans doute au manque brutal d'activité après mon départ en retraite. Un jour l'une de mes filles et une de mes sœurs me demande pourquoi je ne cherche pas à retrouver mon père, ce soldat allemand dont tout le monde a entendu parler, mais dont ils ne connaissent pas trop dans le détail l'histoire de la rencontre avec ma mère. Comme j'ai d'autres soucis en tête à ce moment là, ma réponse n'est pas très motivée.

Quelques jours après je reçois par la poste un livre avec une petite dédicace de ma sœur me disant "Lis ce livre et qu'il t'apporte un peu de réconfort ainsi qu'un espoir pour tenter une recherche de tes origines". Ce livre était "Enfants maudits".
Il fut dévoré pendant la nuit avec avidité mais aussi avec beaucoup d'émotion, ces histoires étaient tellement bouleversantes et tellement différentes de la mienne. À l'intérieur du livre se trouvait un encart d'un organisme qui pouvait se charger de retrouver des soldats allemands.

Le lendemain matin j'ai surfé sur le Net pour entrer en contact avec la WASt, au détour d'une page du site je me suis trouvé devant un formulaire de demande de recherche que j'ai rempli sans grande illusion, comme une bouteille à la mer, avec les souvenirs lointains de discussions sur mon père dans le cadre de conversations familiales.

La nuit fut très agitée, dans quelle galère avais-je mis les pieds ? Une chose m'a interpellée : avec les renseignements que j'avais fournis à la WASt, il était impossible qu'ils arrivent à retrouver mon père. J'avais dans le fond d'un tiroir une enveloppe confectionnée par ma mère, sur laquelle était écrit "Pour Frédéric après ma mort". Il y avait peut-être de plus amples renseignements.

J'ai découvert à l'intérieur une correspondance avec la femme de mon père datant de 1976, qui lui annoncait le décès de mon père, une lettre d'une de mes sœurs allemandes de 1978 qui lui disait qu'elle connaissait l'existence d'un petit frère en France depuis 1953 et qu'elle serait heureuse d'avoir de mes nouvelles.

Même le nom que j'avais donné à la WASt était faux, j'avais inscrit PFEIFFER au lieu de PIESCHEL, le prénom était Rudi au lieu de Rudolf.

J'ai immédiatement fait un courrier en m'excusant de toutes ces erreurs et en fournissant toutes les photocopies des courriers que m'avait transmis ma mère. Ce courrier partit pour Berlin au début du mois de novembre 2005. Comme j'avais une adresse sur l' enveloppe qu'avait envoyée ma sœur Erika (j'avais son prénom et son nom de femme), je pris la décision de lui écrire une lettre en lui faisant part de ma démarche aussi soudaine qu'irréfléchie dans l'espoir de retrouver une partie de mes origines puisque je savais que mon père était décédé, l'adresse devait sans doute être obsolète mais avec un peu de chance et l'aide du facteur peut-être qu'elle la recevra.

Au retour d'un séjour à la montagne le 15 janvier 2006 dans le courrier se trouve une lettre qui va bouleverser ma vie, la WASt me répond par l'intermédiaire de Mr. Jean-Jacques MARIE qu'elle a retrouvé la trace de ma famille en Allemagne et en particulier de ma sœur Erika, il précise que celle-ci bien que surprise par ma démarche si tardive, est très heureuse d'avoir enfin des nouvelles de son petit frère Frédéric et qu'elle va s'empresser de m'écrire le plus rapidement possible, elle parle et écrit le français correctement. Le lendemain de mon retour j'avais sa lettre avec une photo de mon père et une d'elle avec son mari. Que d'émotions successives, immédiatement mes pensées se sont tournées vers ma mère qui nous avait quittés en 1996. Je pense qu'elle aurait été heureuse de savoir que son fils avait pris l'initiative de retrouver son père et sa famille allemande, qu'il avait réussi (ou plutôt la WASt) que la boucle était ainsi bouclée. Pour ma mère, hélas oui, pour moi ce n'est que le début d'une merveilleuse aventure.

Dans la première lettre de ma sœur, j'apprends que j'ai encore deux autres sœurs, une à Dresde et l'autre à coté de Freiburg en Forêt noire, une autre encore est décédée en 1983, elle habitait à Frankfort sur le Main. Elle me disait aussi que nous n'étions plus très jeunes, qu'il fallait envisager de nous rencontrer rapidement. Nous avons donc programmé cette première rencontre pour le mois de mars 2006, très exactement le 13 (cette date est importante).

Le cœur au bord des lèvres, ayant décidé avec mon épouse Micheline, de faire le voyage en voiture, nous grimpons dans notre véhicule le 12 au matin en sachant que 1350 km nous séparent de Markersdorf à la frontière avec la Pologne tout près de Görlitz, et qu'il sera impératif de faire une escale le soir à Erfürt. Tout était presque prévu sauf la tempête de neige en cours de route sur toute l'Allemagne, pays dont ni l'un ni l'autre ne parlions un seul mot.

Le 13 au matin nous sommes arrivés avec une appréhension terrible devant la demeure de ma sœur Erika, son apparition sur le seuil de sa porte avec ce sourire qui en disait long sur le bonheur qu'elle ressentait restera gravée dans ma mémoire jusqu'à mon dernier souffle. Le bonheur absolu n'existe pas mais je n'en suis pas si sûr aujourd'hui. Son mari, Wolfgang, était tout aussi heureux que nous de voir notre première embrassade dans la neige abondante de la Saxe.

Un accueil formidable plein de simplicité, de gentillesse à notre égard.
Nous avons fait connaissance avec un de ses fils le soir même ainsi que toute sa grande famille.


Trois jours de découverte de mon père, ma sœur Erika, des albums photos grand ouverts avec des photos de l'enfance de mes sœurs toutes plus âgées que moi. Et oui mon père était marié quand il a connu ma mère, Il avait 14 ans de plus qu'elle, mais celle-ci fut mise au courant pendant leur relation qui dura environ 2 ans. Elle m'a offert des boutons de manchettes ayant appartenu à mon père. Cadeau émouvant, c'étaient des objets qu'il avait touchés.

Nous avions prévu, Micheline et moi, un voyage d'une semaine pour pouvoir rendre visite à mon autre sœur à Dresde ainsi qu'à l'autre fils d'Erika et bien d'autres que je ne soupçonnais pas encore.

Nous avions rendez-vous le quatrième jour avec mon autre sœur Gisela, à Dresde à la porte D de la Frauenkirche cette magnifique église bombardée et entièrement détruite en février 1945 et reconstruite à l'identique après la réunification des deux Allemagne.

Là encore un accueil chaleureux de ma deuxième sœur accompagnée de son mari Jochen et de son neveu Hanno, le fils de ma troisième sœur Christina qui habite à Freiburg, lui habite à Paris et parle le français couramment, c'est un sérieux avantage pour le reste du séjour à Dresde car Erika est retournée chez elle.

Encore trois jours de découverte de ma nouvelle famille qui s'agrandit à chaque visite d'un neveu, d'une nièce, d'innombrables petits-neveux et petites-nièces.

Et puis un soir lors d'un repas chez Gisela, celle-ci me remet entre les mains une lettre, je reconnais immédiatement l'écriture de ma mère et pense que c'est la correspondance avec sa mère. Mais lorsque je commence la lecture, mon cœur vacille, la lettre est datée du 08 janvier 1944, avec pour titre "Cher Rüdi". Une lettre à mon père, mais que fait-elle entre les mains de ma sœur plus de 63 ans après ? J'ai parcouru cette lettre rapidement avec ma vue brouillée par les larmes, puis je la lui ai rendue en la remerciant de me l'avoir montrée mais elle m'a fait comprendre que cette lettre était maintenant à moi. Gisela venait de m'offrir un trésor inestimable.

Cette lettre, je l'ai lue et relue un nombre incalculable de fois, c'est une lettre de rupture définitive, mais c'est aussi dans cette lettre qu'elle lui explique comment elle compte élever leur enfant. Aucun des termes employés sur ce sujet ne peuvent être pris en défaut avec le recul que j'ai en les lisant. Elle a littéralement programmé mon avenir ce jour là. C'est maintenant que je comprends toute la protection qu'elle m'a apportée, tous les sacrifices qu'elle a acceptée pour que je ne souffre pas du fait de ma venue au monde dans des conditions particulières.

"Ma pauvre mère, tu m'as souvent dis que j'étais ingrat envers toi, quand je faisais quelque chose de mal, comme tu avais raison. Même ton fils ne se rendait pas compte de tout ce que tu faisais pour lui. Pardonne-moi d'avoir ignoré tout l'amour que tu me portais."

Voilà la raison pour laquelle mon enfance a si peu de ressemblance
à celles de mes frères et sœurs "enfants de la guerre".

Le deuxième présent est le journal intime de mon père pendant l'année 1944, année où il fut en particulier fait prisonnier prés de la frontière française avec la Belgique, puis emprisonné au camp de Voves près de Chartres. Voilà des fragments de vie de mes deux géniteurs qui contribuent à construire l'histoire de mes parents.

Nous avons le dernier jour rendu une visite à mon père, dans un très beau cimetière situé sur la colline face à la ville de Dresde, serrés l'un contre l'autre Gisela et moi nous avons, je pense, remercié qu'un tel moment puisse arriver. Enfin nous avons été rendre visite à la sœur de mon père dans le fief de la famille PIESCHEL, l'adresse que j'avais sur une lettre d'Erika.

Puis ce fut le retour vers la France, avec de beaux souvenirs, des photos de ma famille allemande qui m'ont été offertes si gentiment pour créer mon propre album comme tout enfant a le droit d'avoir sur sa famille. Une famille qui a plus que doublé, moi qui suis le plus âgé du côté français, je suis le plus jeune du côté allemand.

En mai de la même année ce fut le tour de mes sœurs de venir en Normandie, un grand moment aussi pour elles, deux n'avaient jamais mis les pieds en France. Encore trois jours de bonheur intense mais personne ne s'en est offusqué. S'en est suivi de nouvelles visites d'un côté comme de l'autre, des courriers souvent et des E-mail couramment avec toute la famille.

En 2007, les fêtes passent en échangeant les bons vœux d'un côté comme de l'autre. Et puis un soir de mars c'est le drame, mon neveu me téléphone de Paris pour me dire que ma sœur Erika est au plus mal. Je garde au fond de moi un petit espoir, je viens juste de la rencontrer, elle n'a pas le droit de partir si vite. Hélas le 13 mars 2007 elle nous quitte définitivement. Un an jour pour jour après notre première rencontre. Je vous avais dit que le 13 mars était une date importante.

Voilà j'en ai fini avec mon histoire, je voulais simplement apporter une pierre à l'édifice de l'amicale. Ce n'est pas facile de se raconter mais j'espère que quelques uns de nos amis y trouveront du courage et de l'espoir pour continuer leur quête du père tant désiré. Et puis ne l'avais-je pas promis à notre présidente ?

Frédéric.
Mai 2010.


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