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Histoire de ANDRÉE
née à Paris le 18 juin 1941.



Occupation allemande...

Une ambulance arrive sirène hurlante à l'hôpital Denfert-Rochereau à Paris 14ème.
Une femme va accoucher, c'est urgent, les brancardiers se dépêchent mais pas assez tout de même et quand l'ascenseur démarre pour aller tout en haut à la salle de travail, une minuscule petite fille est née, il faut faire vite c'est une prématurée, elle n'a même pas la force de crier. Enfin les infirmières et le médecin s'occupent d'elle. Ce sont des Allemands, et puis, un autre bébé pointe son nez. Des jumeaux, cela devrait être un grand bonheur pour la maman, mais celle-ci est bien embarrassée, car ces deux enfants n'ont pas de Père.
La Maman s'appelle Carmen, elle non plus n'a pas de Père, elle a 23 ans, elle est brune aux yeux verts.


Ma mère Carmen et moi, 9 mois.

Hélas elle est mariée et son mari Maurice Trémièges est prisonnier en Allemagne depuis plus d'un an. De cette union est née une autre fille, ma grande soeur Christiane. La décision est dons prise d'abandonner le petit garçon et de laisser la petite fille aux enfants assistés pendant quelque temps.


Andrée 2 ans - Août 1943.

La petite fille s'appelle Andrée, Yvette, Marie.
N'ayant pas de Papa, c'est un employé de l'hopital monsieur Joseph Laz qui fera la déclaration à la Mairie du 14ème.


Ma mère et ma soeur ainée
Christiane.
Butte Rouge - Août 1943.

Vous avez compris cette petite fille c'est moi. Maman est repartie quelque jours aprè en m'abandonnant...
Ma grand-mère maternelle Marie Wasch née Brégeron, veuve de Antoine Wasch tué à la guerre de 1914, a eu trois fils, un seul a vécu Raymond, né en 1906, il s'est beaucoup occupé de sa peite soeur Carmen.
Raymond s'est marié avec Germaine Hemmen. Il travaillait aux Postes, sa femme était infirmière. En 1930 leur fille Gisèle vient au monde, elle décèdera le 19 mai 1948 de longue maladie. Pour l'instant ces personnes représentent ma seule famille.

Les hommes de loi décident alors que je serais confiée à ma grand'mère Marie, celle-ci a déjà la garde de ma soeur, les droits maternels ayant été enlevés à notre mère.
Ma mère m'ayant déclarée sous le nom de Trémièges, les hommes de loi décident que je porterai le nom de Brégeron (nom de jeune fille de ma mère). Je pars donc à Châtenay-Malabry avec ma grand'mère et ma soeur.
Pendant ce temps notre mère poursuit sa vie décousue et un an et demi plus tard met au monde une autre petite fille, née en septembre 1943. Danielle Françoise n'a vécu que deux mois.

Les Allemands se sont occupés du divorce de ma mère, celle-ci ayant écrit à son mari pour lui dire qu'elle avait eu un enfant...
Je resterai trois ans chez ma grand'mère et puis je suis tombée malade, coqueluche aggravée de problèmes pulmonaires. Trois mois d'hopital aux Enfants Malades à Paris. Pendant ce temps les Américains sont arrivés en France, amenant avec eux cette pénicilline qui m'a sauvé la vie.

Par un après-midi ensoleillé, la porte de ma chambre s'ouvre, une infirmière vient me chercher en me disant, tu es guérie, ta maman vient pour te ramener à la maison, il faut que tu t'habilles. Dans le couloir une femme me tend les bras, il paraît que c'est ma maman ! On m'habille, j'ai mal aux pieds, mes chaussures sont trop petites, qu'importe il faut les mettre.
Un Monsieur accompagne ma mère, il s'appelle Pierre Picard, on m'enmène, je ne tiens pas sur mes jambes et j'ai très peur, je ne connais pas ce Monsieur, il me dit qu'il est mon Père...
Il possède une moto avec side-car, on me met dedans dans les bras de ma mère, enfouie dans un grand oreiller tant je suis fragile. Nous arrivons aux Champs-Elysées, ils sont fermés à la circulation ce jour-là, il y a un défilé à l'Arc de Triomphe.
Mon Père dit aux militaires que je sors de l'hopital et que je suis très fragile. Nous avons donc remonté les Champs-Elysées sous les applaudissements ! Qu'avait donc compris la foule. Je ne le saurais jamais.

Pendant six mois j'ai vécu rue de Miromesnil dans un appartement immense, où j'avais très peur la nuit. Et puis les mauvaises langues ont fait comprendre à mes parents que ma place n'était pas là.
IL faut dire que mon Père venait d'être veuf un an auparavant et sa femme ayant eu connaissance de mon existence par ma mère qui la soignait en tant qu'infirmière, avait fait promettre à son mari de m'adopter après son décès. Ma mère étant sa maîtresse depuis son arrivée chez eux. Il fallait prendre une décision.

Devenue génante, je fus mise en nourrice à Clairefontaine. Nous étions plusieurs enfants dans cette situation : la plupart d'entre nous enfants encombrants et sans père, plutôt blonds. Les rares fois que nous sortions de la propriété nous n'avions le droit de parler à personne.
Pendant les deux ans que je suis restée au Manoir, je n'ai pas revu ma mère ni son mari ! Ces années furent les plus heureuses de mon enfance, nous vivions en toute liberté dans le grand parc ne retournant au Manoir que pour les repas.

Et puis un jour, la nourrice m'a appelée, Andrée va préparer te affaires et lave-toi, tes parents sont là, ils viennent te chercher !
J'ai dit au revoir à tout le monde, je pleurais beaucoup, longtemps à genoux sur la banquette arrière de la voiture j'ai regardé s'éloigner cette maison où j'avais été heureuse, au fond de moi, je savais que je ne les reverrais pas.
À ce moment j'ai pris la décision de me répéter chaque jour tous les événements qui marquaient ma vie. Pendant la période chez ma grand'mère je me souviens très bien de ces Officiers Allemands qui m'avaient ramenée à la maison me trouvant seule dans le square en-dessous des fenêtres où nous habitions, ce n'étaient pas un hasard, ils revenaient souvent et nous amenaient des vivres. Par la suite j'ai compris que l'un d'eux était mon vrai Père.

Le retour à Paris ne fut pas joyeux, j'avais beaucoup de mal à obéir à certaines habitudes de propreté et d'obéissance et surtout à cet homme qui se disait mon père.
Pour ma mère ce fut une catastrophe, on l'insultait, on la traitait de collabo, le bruit courait qu'elle avait été rasée (ce qui était vrai) et puis j'étais la bâtarde, la fille de boche ! Ils ont donc pris la décision de me mettre en pension, celle-ci spécialisée pour les enfants dans ma situation, cette pension ou prison j'y suis restée pendant six longues années, n'en sortant que pour les grandes vacances.
Autant de Noëls passés derrière les fenêtres à regarder les gens dans la rue les bras chargés de cadeaux. Moi je serrais dans ma main l'orange entourée de papier d'argent récupéré sur les tablettes de chocolats durant l'année.

Après ma communion solennelle, mon père a pris la décision de me sortir de là, il avait licencié la bonne ! Finies les punitions, finies les gifles quotidiennes parce que j'ai toujours refusé de baisser la tête en passant devant la Directrice.

1952 : Retour rue de Miromesnil où j'ai vécu jusqu'à mon mariage avec Daniel T., père de mes enfants, mon ex mari.
Là m'attendais une famille que l'on disait mienne, mais les adultes me traitaient avec mépris. Moi je croyais que c'était ma vrai famille, j'avais des grands-parents, des tantes, des oncles ainsi que des cousins et des cousines, je fermais mes oreilles aux sous-entendus, du genre: retourne d'où tu viens, bâtarde, fille de boche. J'aimais cette famille que je pensais la mienne.
Les Noëls furent somptueux, j'ai eu jusqu'à vingt cinq poupées toutes plus belles les unes que les autres, je n'ai jamais joué avec. Le matin avant de partir à l'école je les alignais sur mon lit. Je n'avais pas l'habitude de jouer !
Je lisais beaucoup et dessinais encore plus et j'écrivais pour une petite fille, des belles histoires de bonheur, je vivais à travers cette petite fille. Je lui racontais mes peurs et mes chagrins et surtout l'indifférence des adultes qui m'entouraient... Retourne d'où tu viens...

Je ne voyais jamais ma grand'mère Marie ni ma soeur, je n'avais pas le droit d'en parler à quiconque.
Le temps a passé, je devenais une jeune fille avec des journées très occupées entre les cours et la tenue de l'appartement, le repassage, et surtout cirer les parquets.
Ma mère m'aimait et me détestait à la fois, il m'est souvent arrivé de sortir en plein été avec un gilet pour cacher les bleus que j'avais sur les bras, elle me surveillait tout le temps, je ne pouvais rien avoir à moi, si pendant les congés je recevais du courrier, je le trouvais ouvert sur mon bureau !

Je devais avoir 14 ans, je me trouvais seule avec mon père à l'appartement, je venais de la salle de bain située en face de ma chambre, il se tenait entre les deux portes et me barrait le chemin, je ne comprenais pas, c'est alors qu'il m'a prise dans ses bras et a voulu m'embrasser sur la bouche tandis que sa main commençait de me toucher les seins. Je le repoussais de toutes mes forces, mais en vain, je me suis mise à hurler, de plus en plus fort, pris de panique, les voisins pouvaient entendre, il m'a lâchée, a pris sa veste et a quitté l'appartement. Je me suis effondrée sur mon lit complètement anéantie : c'était ça un homme.... un père ?

Prise de folie je me suis ruée dans leur chambre, fouillant dans le tiroir de leur armoire, où je savais qu'ils rangeaient leurs papiers, je voulais savoir, cet homme ne pouvait être mon père !
J'ai trouvé le premier livret de famille de ma mère, son mariage avec le père de ma soeur, la naissance de celle-ci, la naissance de notre petite soeur Danièle, les tampons Allemands, pour mon premier désavoeu de paternité, le divorce de ma mère.
À partir de ce jour j'ai tout fait pour éviter de me trouver seule avec ce père ! Quelques jours plus tard j'ai essayé d'en parler à ma mère, celle-ci s'est mise à rire et m'a dit que je prenais mes désirs pour des réalités. De ce jour je ne l'ai plus regardée comme avant, je la méprisais et elle me dégoûtait, il n'y avait que sa vie à elle qui comptait, qu'importe si son mari avait tenté de me violer, du moment que cela ne changeait en rien sa confortable petite vie ! J'ai par la suite continué à m'éloigner d'elle, nous n'avions rien en commun.
Malgré les brimades et les râclées qui pleuvaient pour un oui ou pour un non, j'ai continué de vivre avec mes peurs et mes questions. Qui était mon père, pourquoi m'avait-il abndonné? Pourquoi étais-je avec cette femme dont les droits maternels lui avaient été retirés ? Par la suite à force de poser des questions j'ai compris que mon père le vrai, était un Allemand, les "filles de boche" me revenaient en mémoire, les officiers Allemands qui nous apportaient des vivres chez ma grand'mère, les mises à l'index dans les écoles, la pension aux enfants blonds dont on ne voyait jamais les parents, tous les sous-entendus...
Je me suis donc mise à croire en ce père me disant qu'un jour il viendrait me chercher. Les années ont passées, et je crois toujous qu'un jour je saurais, que l'on m'expliquera son absence.

Je n'ai de toi Papa que ton prénom,
mais je t'aime et me dit que si tu n'es pas venu
c'est que tu ne le pouvais pas.

Je voudrais dire à ceux qui peut-être liront ces lignes, qu'il faut y croire et que comme moi et tous les enfants de soldats Allemands, qu'il faut se battre et construire sa vie comme je l'ai fait avec cet amour impossible au coeur.

Mon histoire n'ira pas plus loin, mais il y a un soleil dans ma vie,
ce sont tous les frères et soeurs de l'A.N.E.G
qui ont la même histoire et la même quête, à tous je dis je vous aime.
Croyez en cette petite étincelle de vérité qui un jour brillera à votre horizon.

Andrée
Octobre 2010.


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