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Histoire de YVES
né à BERLIN en avril 1945.




Bonjour à vous tous !

C'est par hasard que j'ai découvert le site de l'ANEG en novembre 2015, alors que j'étais en train (à 70 ans) d'écrire l'histoire de ma naissance à l'intention de mes enfants. Bien entendu, j'ai commencé par lire les témoignages souvent terribles, toujours émouvants de toutes celles et de tous ceux qui ont mis en ligne les circonstances de leur naissance et l'impact de ces circonstances sur leur existence. Contrairement à beaucoup d'entre vous, c'est mon père qui était français et ma mère qui était allemande. Je n'ai pas vraiment souffert de cette situation, mais j'ai plutôt le sentiment d'en avoir tiré de réels avantages (Deux langues, deux cultures, un métier "en héritage !"

Voici donc ma propre histoire :

Mon père (Robert G.) est né en 1922 et vivait à Lyon. Il a été incorporé, comme la plupart des garçons de son âge aux "Chantiers de jeunesse" (Groupement n° 4, "Vauban") à Cormatin, en Saône et Loire, de novembre 1942 à la mi-juin 1943.

Des Chantiers de jeunesse, il fut envoyé - comme STO - à Berlin où il arriva le 19 juin 1943. Il fut employé comme tourneur-fraiseur dans la fabrique Hammer und Weber. Quelques jours après son arrivée, il fit la connaissance d'une étudiante allemande en médecine dentaire (Margot-Jutta L.)


1946

1979

2009

Je suis né de cette liaison le 30 avril 1945 à Berlin à la clinique Waldfriede (Berlin-Zehlendorf), alors que les troupes soviétiques venaient d'investir la capitale du Reich, le jour même où Hitler se suicidait. Mes parents n'étant pas mariés, je suis né avec la nationalité allemande et le nom de ma mère. Mon père est rentré en France avec femme et enfant en juin 1945, après avoir transité par le camp de réfugiés de Maubeuge (24 juin 45). La première réaction des parents de mon père fut sans appel : "Pas d'Allemands chez nous. Renvoie-les d'où ils viennent !" Ce qui peut se comprendre : ma grand-mère venait d'apprendre la mort de son frère, arrêté à Lyon quelques mois plus tôt, au camp de Dora. En outre, l'ambiance en France en juin 45 n'était pas particulièrement favorable aux Allemands, en particulier à Lyon, où les règlements de compte entre Résistants et collabos faisaient rage. Ma mère fut internée quelques semaines au camp de Sathonay pour y être interrogée, mais assez vite libérée.

Avec le temps, les choses se calmèrent. Mon père me reconnut, mes parents se marièrent le 13 septembre 45 à Lyon 3ème, j'eus une sœur en juillet 46. Mon enfance et mon adolescence ont été heureuses. Je n'ai été traité de "fils de boche" que deux ou trois fois, à une époque où j'étais trop jeune pour saisir toute la portée de cette agression. Le seul véritable " coup dur " qui bouleversa mon existence fut la mort de mon père à 44 ans d'un cancer du poumon, j'en avais 21. À cette époque j'envisageai de faire des études de philosophie, je changeai donc de projet et fis des études d'allemand, estimant que j'avais davantage de chances de réussir examens et concours, étant germanophone. Nous avons en effet toujours parlé l'allemand avec ma mère, le français avec mon père, un charabia franco-allemand en présence de mes deux parents. Souhaitant prendre ma revanche sur le destin, j'entrepris des études de philosophie à 45 ans, tout en enseignant l'allemand en lycée à Lyon puis en Bourgogne. J'obtins une Maîtrise de philosophie en 1992.

Pour ma mère en revanche, la vie fut beaucoup plus difficile. Les premières années, cela se comprend aisément, mais vint un temps où la France et l'Allemagne se réconcilièrent, les sentiments et attitudes antiallemandes se firent rares, puis exceptionnelles. Ma mère s'estima (à tort) rejetée en France, garda la nostalgie de l'Allemagne et de Berlin en particulier, envisagea de "rentrer chez elle" jusqu'à la fin de ses jours sans voir à quel point les choses, là-bas, avaient changé et que l'Allemagne qu'elle avait connue n'existait plus. Elle s'obligea à rester. Ma mère avait tout perdu à Berlin. Son père, réquisitionné par le Volkssturm fut envoyé au devant des Russes et disparut en Pologne en janvier 1945. Son frère fut médecin à Berlin-Est. Il resta à l'Est par choix. Sa mère vécut avec nous à Lyon de 1947 à 1957, puis retourna à Berlin, lorsqu'enfin elle fut reconnue comme veuve de guerre et qu'elle obtint un logement social à des conditions avantageuses. Ma mère est décédée en 2013 à 92 ans.

Je suis retourné très régulièrement à Berlin, tous les deux ans aussi longtemps que j'y avais de la famille, ma grand-mère à Berlin-Ouest, mon oncle (son fils) à Berlin-Est. Puis avec mes élèves, auxquels j'ai pu montrer Berlin coupé en deux et enfin Berlin "réunifié". Je ne suis sans doute pas le seul à ne pas trop savoir où je suis chez moi. En Bourgogne où je vis, j'ai le sentiment d'être de là-bas. À Berlin, je pense être d'ici. On ne guérit pas de son enfance...

Yves.
Décembre 2015.


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