Histoire de Francis


né à Calais, le 23 janvier 1943.



Le 5 mai 1940 à Calais, les troupes françaises, anglaises, belges et hollandaises
se rendent face à l'offensive de l'armée Allemande.


L'occupation s'organise. Ma mère Georgette vivait avec ses parents au 184, boulevard Gambetta. La maison voisine fut réquisitionnée pour quatre soldats, employés des chemins de fer.

L'arrivée de ces jeunes de la Wehrmacht impressionnait et inspirait une méfiance vis-à-vis des habitants. La mitoyenneté des jardins entre l'habitation de ma mère et la maison occupée par les Allemands instaura un contact amical. Ma mère et ses cousines furent sollicitées pour des séances photos. Il devait être difficile de refuser d'autant plus qu'ils devaient trouver les françaises à leur goût.

Mes cousines et ma mère.

Ma mère s'occupa de l'entretien de leur linge, ce qui lui permettait d'améliorer l'ordinaire en nourriture et en charbon. Les mois passèrent, on pouvait mieux comprendre la façon de vivre de ces soldats loin de leur famille et qui s'accommodaient de cette guerre.

Ma mère éprouva des sentiments envers Willi KNÖRI qui s'installa à la maison. De cet amour, je suis né le 23 janvier 1943. Ma mère a été fortement sollicitée pour m'abandonner à une famille calaisienne. Elle a refusé malgré la mise en garde de la part de ses proches sur les conséquences de mon avenir comme enfant de l'ennemi et les représailles qu'elle risquait de rencontrer de la part de la résistance. Georgette avait trouvé du travail. Une nourrice me garda.

Francis 20 mois et sa mère.

Ma cousine Suzanne, âgée de 80 ans, fut surprise que je sois au courant de l'origine de ma naissance. Pour elle le secret avait été gardé. Après 63 ans Suzanne me raconta qu'elle avait connu mon père Willi, les moments conviviaux qu'elle passait avec sa sœur et ma mère.
Mon père connut les joies de la paternité pendant mes cinq premiers mois, il reçut une nouvelle affectation en juin 1943. Ma mère a évité les représailles et l'humiliation publique.
J'ai appris plus tard que mon père était fiancé avant sa mobilisation et qu'il s'était marié le 2 juillet 1943. Son épouse ressemblait beaucoup à ma mère. Je n'ai jamais su si Georgette était au courant de la vie de mon père en Allemagne.

Willi en militaire.

En 1949, je fis mon entrée à l'école communale de mon quartier. Très tôt, j'ai senti que je n'étais pas un enfant comme les autres : je n'avais pas de père. De santé fragile, des années difficiles commencèrent pour moi. Le monde était à la recherche de l'origine de la paternité de ces enfants nés des années 1940 à 1949.
Les enfants à l'école s'invectivaient à tort ou à raison de : " tête de boche " et de " sale boche " ce qui touchait ceux qui en étaient et culpabilisait cette génération qui était considérée comme des enfants de l'ennemi, nous étions des bâtards d'allemand.

À l'âge de 7 ans, ma mère m'a parlé de mon père et m'a donné sur une feuille de papier les informations qu'elle avait sur ses origines en Allemagne. Je conservai ce document toute ma vie.
Georgette qui m'adorait ne s'est jamais remariée, mais elle vécut avec un serveur de restaurant qui lui donna une petite fille : Yvette née en 1957.

Malgré tout, mon complexe n'était pas évacué, j'avais l'impression que mon comportement trahissait mon origine germanique. Tout jugement implicite de mon entourage m'envahissait d'un sentiment de peur d'être mal aimé, rejeté ou montré du doigt.

En 1995, j'avais 52 ans, ma carrière était assurée; j'écrivis au consulat de France à Stuttgart, aucune recherche ne pouvait être engagée, n'ayant pas trace de filiation.

En mai 2004, suite à la parution du très beau livre de Jean-Paul PICAPER et Ludwig NORZ " Enfants maudits " et à l'émission télévisée sur les enfants français nés de père allemand, j'ai écrit à la " WASt " : le service de recherche du personnel incorporé dans la Wehrmacht.

Fin janvier 2005, Marie-Cécile ZIPPERLING me téléphone qu'elle a retrouvé la trace de mon père qui malheureusement est décédé le 5 mars 1988. Son épouse âgée de 82 ans avec qui il était fiancé quand il m'a conçu en France vit avec l'un de ses enfants : Rudolf KNÖRI âgé de 57 ans.
Quelle chance ! Le contact reste à entreprendre avec mon frère.

Le choc a été rude pour mon frère Rudolf et sa mère : apprendre que son père a connu une femme en France et que de cette liaison est né un frère. Après avoir longuement réfléchi, il jugea que j'avais le droit de savoir. Nous échangeons des lettres. Pour la première fois, j'ai découvert mon père : une photo prise à Calais à l'âge de 26 ans.

Mon impatience va grandissante je veux en savoir plus. Rudolf me raconte la partie manquante du puzzle, du départ de notre père pour le front d'Italie à son décès.

J'invite mon frère, son épouse Heide et ses trois enfants Jenny, Olivier et Daniel à passer quelques jours chez nous à Angres pour faire connaissance de mon épouse Maguy et de nos deux enfants David et Christelle. La promesse est faite ils nous rendront visite pour les fêtes de l'Ascension du 25 mai 2006.

La visite de Rudi et de Heide approche. Ils me préparent un CD où seront reproduits des films de ma famille. La ZDF, télévision allemande avec Claudia DOEBDER, se charge d'être notre interprète pendant trois jours en tournant un film de 45 minutes.
Le jeudi 25 mai une golf bleue s'arrête devant la porte de notre maison, Rudi et Heide en descendent. C'est l'accolade avec mon frère. Les yeux emplis de larmes, Rudi traduit son émotion. Heide offre une orchidée à Maguy.
C'est bien l'un des plus beaux jours de ma vie ! Tous autour d'un déjeuner, l'émotion est à son comble. Ma famille, mes amis qui parlent très bien allemand s'accordent à dire qu'il y a une resssemblance.
Nous passons un séjour de visites de la région Nord Pas-de-Calais avec plein d'évocation.
Rudi souhaiterait évoquer des souvenirs plus personnels sur notre père. Je prends des cours de langue allemande pour répondre à l'invitation qui nous est faite par Rudi et Heide pour nous retrouver en janvier 2007 dans leur belle région du Baden Württemberg qui est un peu la mienne.
Sa maman est prête à nous recevoir afin que je rencontre mes neveux, ma sœur âgée de 60 ans que je ne connais pas encore et que je me recueille sur la tombe de mon père.
Je souhaite que le fait d'avoir retrouvé ma famille allemande puisse donner espoir à d'autres qui recherchent leur identité, qui ont souffert de la honte et qui ont été parfois rejetés par leur famille.

Francis et son frère Rudi,
se rencontrent pour la première fois le 25 mai 2006.

Francis.
Septembre 2006.


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