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Histoire de Monique
née le 5 octobre 1946 à La Rochelle.




Ce récit a reçu le "Premier prix" de la nouvelle
au concours du Goëland en 2006
à Bourcefranc-le-Chapus.


"Je ne voulais pas, et poutant..."


Ce matin là aurait pu être comme tous les autres, mais hélas, il allait bouleverser toute ma vie.


Au centre de la photo, ma mère et moi à 18 mois.



Monique en blanc en 1951.

Je m'étais rendue à l'école distante d'environ 1km500 de notre domicile en prenant à mon cou à tour de rôle mon petit frère et ma petite soeur, en leur chantant de petites chansons pour leur faire oublier le froid qui glaçait nos mains et nos pieds.


Monique à genoux, à gauche et sa soeur debout,
(rangée du bas, 3ème à partir de la gauche)
en 1951.

C'est pendant la récréation que le ciel m'est tombé sur la tête, quand ma meilleure amie m'a dit que mon véritable père était un "allemand" et non pas celui que depuis toujours j'appelais Papa.
J'avais 8 ou 9 ans et j'étais sûre que les parents ne mentaient jamais alors je ne voulais pas croire ce qu'elle me disait. Pourtant en rentrant à la maison, j'ai demandé à mes parents en pleurant si c'était vrai. "T'occupe pas de ça" m'ont-ils dit. Pour moi ce n'était pas une réponse mais je n'ai pas insisté..

À compter de ce jour, j'ai compris pourquoi certains membres de ma famille maternelle et surtout, ma grand-mère ne m'aimaient pas. Je revis également le jour où une soeur de ma mère ne voulait pas que je rentre chez elle. Malgré ca j'ai fait semblant de croire mes parents, mais au fil des jours, d'autres détails me revenaient à l'esprit, tourmantant mes jours et hantant mes nuits.
Bien sûr je ne ressemblais pas à mes frères et soeurs, je l'entendais souvent dire, mais JE NE VOULAIS PAS ÊTRE LA FILLE D'UN BOCHE, je refusais cette idée, je ne montrais rien le jour, mais je pleurais souvent la nuit en silence; il m'est arrivé souvent d'avoir envie de ne plus me réveiller pour ne plus penser, mais je m'accrochais en me disant que "Papa" m'aimait lui, c'était donc forcément mon père; il prenait toujours ma défense et ne supportait pas de me voir pleurer alors !


Monique debout à droite en 1959.

Pendant des années, je n'ai rien dit à personne, j'avais peur qu'en apprenant que mon père était allemand, plus personne ne m'aime, mes amis, mes voisins etc... Alors avec l'innocence de mon âge, je pensais que cela resterait mon secret, mais je me suis rendu compte plus tard que beaucoup de gens savaient.

Lorsque j'ai connu celui qui allait devenir mon époux, je ne lui en ai pas parlé non plus, je l'ai fait plus tard, mais nous avons évité le sujet pendant de nombreuses années.

Après le décès de papa en 1965, j'ai reposé la question à ma mère, elle ne m'a pas répondu. Je l'ai fait à plusieurs reprises sans plus de succès; les questions devenant de plus en plus obsédantes, je lui ai écrit une longue lettre, lui expliquant tout ce que je vivais depuis tout ce temps, combien j'étais malheureuse et mal dans ma peau, complexée au regard des autres. Je lui ai donné en mains propres pour être sûre qu'elle la lirait, je précisais que je ne la jugerais pas et que je l'aimerais toujours autant, persuadée qu'elle me portait assez d'amour pour mettre fin à ma souffrance, mais elle n'en a rien fait et jusqu'à sa mort en 1988, je ne lui en ai jamais reparlé.

En regardant un reportage à la télévision en février 2003, je me suis rendue compte que d'autres personnes vivaient cettre situation; des non dits, le manque d'amour, certaines même avaient été maltraitées au sein de leur famille et par leur propre mère. Je n'étais donc pas la seule et j'ai enfin admis ce que je refusais de croire.

En juin 2003, je me suis mise en quête de vérité, c'était devenu pour moi une véritable obsession. Je n'ai pu obtenir aucun renseignements auprès des Ambassades, Mairies, Archives départementales, Croix-rouge etc...
Je décide alors d'interroger tous les anciens du village, mais le sujet étant tabou, je n'ai aucun résultat; je ne renonce pas. Je demande alors aux anciens commerçants, je les connais et ils me connaissent tous puisque je suis née ici. Là encore personne ne sait ou ne veut parler.
Au bout de quelques mois, je suis découragée et je commence à penser que je ne saurais jamais.

Un matin faisant mes courses, je croise Madame B. et au cours de notre discussion je lui expose mon problème; elle avait entendu dire par des clients que j'étais bien la fille d'un "Allemand", mais sans plus, n'habitant pas encore la région en 1946, néamoins, elle propose de m'aider en interrogeant à son tour quelques vieux clients avec qui elle avait toujours des contacts. Je reprends espoir.

Grace à elle, j'apprends enfin dans quelle ferme avait été mon père allemand. Avec beaucoup d'appréhension, je téléphone, la fille des fermiers décédés me répond très gentiment et m'invite à venir, ce que je fais de suite le coeur battant à tout rompre, heureuse et persuadée que j'allais enfin tout savoir.
Elle était très jeune à l'époque et a un souvenir assez vague de deux allemands ayant séjourné à la ferme de ses parents, l'un était brun, l'autre blond, mais ne sait pas très bien non plus lequel est venu avant l'autre. Elle demande alors à son mari qui se souvient très vaguement lui aussi, cependant il me tend une petite photo de son beau-père avec l'un des deux allemands, ainsi qu'une carte de visite laissée par un des deux lors d'un passage en France en 1991. J'ai aussitôt transmis ces documents à un organisme dont j'avais relevé l'adresse à Berlin.

Au mois de mai 2004, quelle ne fut ma surprise lorsque sur mon répondeur un monsieur avec un accent allemand très prononcé mais s'exprimant très bien en français, me demande de le rappeler à un numèro jusqu'à 11h le soir. Son nom correspondait à celui inscrit sur la carte de visite, alors pour moi c'était une évidence, mon père allemand existait vraiment, il voulait me parler, peut-être me dirait-il tout ce que je veux savoir. J'étais folle de joie, je pleurais et riais, parlais à mon mari tout en relevant le précieux numéro de téléphone, mais avant de le composer, j'ai appelé mes enfants et à travers mes sanglots, je leur expliquais ce qui se passait, c'était incroyable et tellement merveilleux! J'ai essayé d'appeler plusieurs fois, mais dans mon euphorie, j'avais inversé des chiffres; ma nuit fut très agitée, mais tôt le matin, un appel de la WASt stoppait net toutes mes illusions.


Monique en 2007.

Marie-Cécile m'explique alors que cet homme ne peut pas être mon père (à sa grande déception d'ailleurs car il aurait bien aimé avoir une fille française) car la période de ma naissance ne correspond pas à celle de son séjour en France et le nom de ma mère n'est pas celui de la personne avec qui il avait une relation.
Je suis anéantie, c'est fini; je ne saurais jamais n'ayant qu'un prénom incertain de l'autre allemand.

Trois semaines après le décés de son mari, Madame M. m'appelle en me disant qu'elle avait trouvé quelque chose qui m'intéresserait sûrement. Effectivement, cela tient du miracle. Sur un petit carnet d'adresses de sa maman figure les nom, prénom et adresse de l'autre soldat allemand, donc mon père. Quinze jours après avoir expédié ces documents à la WASt, un courrier m'informe que cet homme était retourné dans son village natal après sa libération et qu'il y était toujours resté, mais que malheureusement il venait de décéder trois mois plus tôt.
Les recherches se poursuivraient quand même et d'éventuels enfant ou sa veuve serait peut-être au courant de l'histoire. J'étais horriblement déçue, mais je gardais espoir qu'un membre de sa famille pourrait enfin apporter la réponse à toutes mes questions.
En novembre 2004, une lettre très touchante de ma famille allemande, me précise qu'ils ignoraient totalement mon existence mais voulaient me connaître et m'aider à retrouver mes racines.

Notre première rencontre a eu lieu le 12 avril 2005 à Berlin et au mois d'août suivant, nous avons fait avec mon mari et mon petit-fils la connaissance de toute la famille lors du mariage de la fille d'un de mes deux frères allemands (j'ai aussi une soeur) mariage auquel nous étions invités.
Ces deux rencontres ont été de part et d'autre chargées de beaucoup d'émotion, merveilleuses et inoubliables, même si la communication est difficile faute de parler nos langues respectives, mais j'avoue que si c'est une aventure extraordinaire pour moi, je ressens aujourd'hui un sentiment de culpabilité d'avoir fouillé dans le passé de ma mère et de trahison envers celui qui a été et restera toujours mon "Papa".

C'est peut-être pour ça que je ne voulais pas... et pourtant !

Monique.
Novembre 2007.


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