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Histoire de JOSIANE
née le 5 mai 1945.



La maman de Josiane,
en 1937.

Enfin je retrouve des gens comme moi ! Fille d'un officier de la Wehrmacht et d'une jolie française qui se sont rencontrés en 1940, connus, aimés à Paris puis au hasard des garnisons où il était envoyé, et où elle le suivait, Bar-le-Duc, Cayeux (octobre 1943, août 1944, où ils vivaient maritalement et où j'ai été conçue, dans la petite maison de pêcheurs qui abritaient illicitement leur bonheur) au mépris des convenances et au grand dam de sa famille à elle.

Josiane et sa manan, en juin 1945.

J'ai eu le bonheur, et le malheur aussi, de connaître mon père, puisqu'à son retour de prison de guerre en Amérique, il est venu rejoindre ma mère, l'épouser et m'élever.

Les parents de Josiane, en 1942.
Le père de Josiane, Paris 1942
(au fong à gauche,
le "Beffroi" de la Gare de Lyon).
Le père de Josiane à Cayeux,
en avril 1944.

Le père de Josiane, en 1948.

J'ai connu toute ma famille allemande, et j'ai été une petite fille adorée par son Oma qui lui envoyait lettres et cadeaux. Dès l'âge de 15 ans, je suis allée passer mes vacances de Pâques dans ma famille, à KEMPEN en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Josiane à KEMPEN, avec ses parents et son OMA.

Mais toute mon enfance, j'ai aussi été "la petite Boche", maudite, pestiférée, avec qui les fillette de ma rue, à Orsay (91400) ne jouaient pas car "on n'a pas le droit, t'es une petite boche". Mon père était insulté, bousculé, menacé dans la rue ou chez les commerçants, les hommes crachaient sur ma mère en ma présence en l'appelant "pute à boches", je subissais, dans le bus scolaire qui me ramenait de l'école, des sévices physiques quasi-quotidiens de la part des autres enfants : on me faisait des crocs-en-jambe, me tirait les nattes, me poussait, m'empêchait de descendre à mon arrêt, sous les insultes et les quolibets... Tristes, mes parents me consolaient en disant "ils sont méchants, laisse-les" mais ne me défendaient pas, par peur des représailles.

Josiane en 1951.
Josiane en 1955.

J'ai fait toute ma scolarité chez les soeurs, qui "savaient", mais leur neutralité était pour mes parents une façon de me protéger. C'est dur pour une petite fille, toute cette haine à laquelle je ne comprenais rien. Mon Papa, il était super, il me racontait de belles légendes, me chantait des chansons dont je ne comprenais pas les paroles, me cajolait, jouait avec moi, ne me grondait jamais.

Josiane et son papa, en avril 1971.

Josiane devant le blockhaus paternel à Cayeux.

Il écoutait de la belle musique (j'ai su plus tard que c'était du Wagner !), peignait des paysages bucoliques, chantait en choeur avec Maman de jolies mélodies ; nous étions très heureux, chez nous, dans notre grand jardin clos de hautes haies. Nous ne recevions jamais personne, n'allions chez personne : seuls nos proches voisins nous parlaient.

Josiane et son frère, en 1998.

Quand j'ai quitté les soeurs pour entrer en 6ème au lycée, Maman m'a dit : "Montre-leur, à tous ceux qui nous ont fait du mal, de quoi une petite Boche est capable". Alors la petite Boche a eu son bac avec mention, une licence de Lettres Classiques, un CAPES et, pendant 23 ans, elle a appris le français à des générations de petits français dont les parents ignoraient que c'était une petite boche.

Josiane en 2004.

Puis, cerise sur le gâteau, elle est devenue chef d'établissement, et a même eu les Palmes académiques : ce jour-là, Maman, les larmes aux yeux, m'a dit "tu nous as vengés"... Je n'ai jamais cherché à me venger, seulement à être acceptée ; ne plus avoir à cacher la nationalité de Papa, ne plus avoir l'impression d'être giflée quand quelqu'un disait devant moi, sans savoir, "les boches"... J'ai lu en pleurant le livre de J.P. Picaper : je n'étais plus seule, d'autres "pestiférés" osaient relever la tête et dire à la face du monde leur tache originelle, et ne plus en avoir honte.

Les parents de Josiane et leur petite-fille.

Les parents de Josiane, en 1995.

C'est avec grand plaisir que je vais donc rejoindre votre association
et attends avec émotion de rencontrer d'autres enfants maudits
devenus, comme moi, de paisibles aïeux.

Josiane Mauchauffée
2008


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