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Blason de la Picardie
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
AMIENS,
le 11 juin 2016.

Blason d'Amiens


Avec le soutien du
Conseil départemental de la Somme


Compte rendu du séjour du 10 au 13 juin 2016
par Dominique Samson.

AU PAYS DE JULES VERNE, DE NOTRE PASSÉ,
CONSTRUISONS ENSEMBLE NOTRE AVENIR.

Venant de Rouen, avec mon remarquable chauffeur, Pierre Mailait, nous arrivons à l'Auberge de jeunesse d'Amiens, 30, square Friant, précisément appelé " Les quatre chênes ". La voiture est chargée de nos épouses respectives, de valises et de dossiers aussi volumineux que nos bagages, sans oublier les grandes espérances de passer en ces lieux un délicieux séjour (comme à chaque rencontre annuelle, ou Assemblée Générale de l'ANEG, d'ailleurs !).



Vendredi 10 juin après-midi :


Sommes-nous en Picardie ou dans la région des Hauts-de-France ? Non, je ne suis pas venu ici polémiquer et me mettre à dos les habitants de la bonne ville d'Amiens, que je devine charmants, et je vais immédiatement passer à autre chose. À peine descendu de la voiture, mes sens sont en éveil, pas seulement parce que je vois fondre sur moi les bisous et accolades chaleureusement amicales, mais aussi parce que je regarde l'environnement des beaux bâtiments en briques qui m'entourent. D'instinct, je sais tout de suite que je suis dans un lieu patrimonial et historique. À l'accueil, près du bar malheureusement pas achevé, la bière va nous manquer... mais il y a des claviers où l'on peut consulter internet. Vous me connaissez, la soirée ne sera pas entamée que j'aurai déjà consulté quelques sites sur Amiens et ainsi obtenir des informations sur l'endroit où nous allons passer plusieurs jours ensemble.

L'ensemble des bâtiments, dont un héberge la belle Auberge de jeunesse, sont en fait deux anciennes casernes construites au XIXe siècle, l'une dite Friant, rue général Foy, abritant le 72e RI, et à l'arrière, la caserne Gribeauval, rue Lescouvé. La caserne Friant a servi d'hôpital militaire pendant la Première Guerre mondiale. Le front de la Somme n'était pas loin. Par exemple, en septembre 1916, il y avait dans ces lieux 1.500 soldats blessés ou malades. L'actuel square des Quatre Chênes était l'ancienne place d'armes. Une maison de retraite se trouve sur la rue Lescouvé. L'Auberge de jeunesse a été ouverte en 2011. Avant, le bâtiment abritait le CREPS, la même institution qu'à Bourges, où nous avions été accueillis et hébergés pour une Assemblée Générale de l'ANEG, en 2013. Voilà un remarquable exemple de pertinente réhabilitation et de réutilisation de vieux bâtiments lorsque l'on a affaire à d'intelligents architectes et programmistes.

Quelques mots sur le général et comte d'Empire Louis Friant : né le 18 septembre 1758 à Morlancourt, hameau de Villers-le-Bel (Somme), il est décédé le 24 juin 1829 à Seraincourt (Val d'Oise), près de Meulan. Il suit la division Bernadotte en Italie en 1797. Il fait ensuite la campagne d'Egypte (j'ai retrouvé son nom dans mes dossiers sur cette page d'histoire) où il commande une brigade de la division de Desaix qui devient son ami. À la bataille de Sédiman, il se fait remarquer par son courage intrépide, se bat aux Pyramides, à Samanhout, à Aboukir, où les anglais furent témoins de sa bravoure, gagne une victoire à Aboumanali en 1800, mate une rébellion au Caire. On le retrouvera plus tard sur les champs de batailles européens, notamment à Austerlitz. Blessé cinq fois, la dernière fois à Waterloo, son nom est gravé sur le côté nord de l'Arc de Triomphe de l'Étoile à Paris. Sacré gaillard qui ne devait aimer que l'odeur de la poudre et le bruit des canons. J'espère que son fantôme ne vous a pas importuné la nuit, pour celles et ceux qui dormaient paisiblement à l'Auberge de jeunesse. Nous passerons notre premier repas ensemble au réfectoire de l'Auberge de jeunesse, où nous entendrons surtout le tumulte des conversations animées et le tir des fourchettes contre les assiettes. Le petit ou le grand Napoléon, selon que l'on soit adversaire ou admirateur du personnage, ne nous empêchera pas de célébrer l'amitié entre les peuples.

J'espère que vous avez bien localisé vos chambres, le numéro de porte, l'étage. Bonne nuit, le marchand de rêves va passer. Quand à nous, avec mon épouse Françoise, nous allons dormir chez notre président adoré Jehan et son épouse, Françoise aussi. Marie-Cécile Zipperling nous accompagne. Excellent bivouac pour quelques fantassins de l'ANEG en campagne.

Comme nous sommes assis dans le salon, un des chats de la maison goûte à la douceur de mes jambes, avant d'aller comparer celles de mon épouse. Et que je câline, que je me blottisse, que je ronronne. Il n'y a pas que les anégiennes qui savent faire cela ! Comment ?, j'exagère ?, je fantasme ?


*

Samedi 11 juin :

L'Assemblée générale.


Je sursaute, encore embrumé des rêves de la nuit. Qui a sonné le clairon au chant du coq ? Est-ce qu'il y a une revue de paquetage inopinée dans la cour aux aurores ? Non, c'est seulement le réveil qui a sonné et nous rappelle cruellement qu'il faut sortir du lit bien chaud et douillet. Pas de farniente, car il faut rejoindre vite l'Auberge de jeunesse pour accompagner les anégiens, hommes ou femmes, au petit déjeuner, ou accueillir les arrivants du matin. Cela va être dur pour Françoise, mon épouse, et Marie-Cécile. Nous, les hommes, on a fait l'armée (pas sous Napoléon !). On connaît ces réveils difficiles. Et cela va se répéter au moins trois fois. Vivement les vraies vacances !

Après une réunion de travail le matin, en tant qu'administrateur, nous nous retrouvons au restaurant de l'Auberge de jeunesse. Quel plaisir de croiser certaines ou certains que l'on avait pas vu depuis un an, ou plus longtemps pour celles et ceux qui ont connu de lourds problèmes de santé, graves soucis familiaux ou autres difficultés les mettant à l'isolement, revenant parmi nous comme des rescapés de la vie. Nous devinons aussi, pudiquement et sans rien dire, que vu nos âges qui nous rapprochent inexorablement de la grande porte de sortie, ce sont les dernières réunions annuelles que vivent, sans le savoir, certains de nos amies et amis de l'ANEG. Mais trêve de pessimisme. Pour le moment, on rigole bien. Il y a un bon groupe d'Allemandes et d'Allemands (quatorze) parmi nous qui n'engendrent pas la mélancolie. Certains se rappellent leurs jeunes souvenirs de la cantine de leurs collèges ou lycées. Les repas sont aussi l'occasion d'échanger sur nos parcours de vie, nos recherches. Elsa collectionne les étiquettes des cannettes de bière pour elle et sa fille. Nous participons à la collecte, notamment en privilégiant la consommation de bière. Ein großes Bier !

Le repas avant l'Assemblée générale.

© Photos (13) : J. Sauval-Schmutzler - 11/06/2016

Enfin, en début d'après-midi, le moment tant attendu de l'Assemblée générale arrive.

Une partie du Conseil d'administration.


De gauche à droite :
Johan Sauval-Schmutzler, Madame Brigitte Fouré, Maire d'Amiens,
Madame Nathalie Lavallard, adjointe au Maire.
© Photos (3) : Pierre Mailait - 11/06/2016


Décoration aux couleurs de la France et de l'Allemagne
réalisée par Françoise Sauval-Schmutzler.
© Photo : J. Sauval-Schmutzler - 11/06/2016

L'Assemblée générale se déroule normalement comme toute réunion de ce genre : mot du Président, présentation des administrateurs, rapport moral, rapport d'activités, rapport financier avec une avalanche de chiffres que tout le monde va vite oublier. C'est le trésorier qui fait le travail le plus ingrat, mais avec beaucoup de rigueur, de précision et de clarté. L'argent étant le nerf des combats associatifs, bravo à Pierre Mailait. En préambule, Madame Fouré, Maire d'Amiens, nous présente les atouts touristiques de la ville, la cathédrale, les Hortillonnages, la maison " Jules Verne ", où le célèbre écrivain a vécu 18 ans (il est inhumé au cimetière de La Madeleine à Amiens). C'est aussi à Amiens que Saint-Martin partagea son manteau avec un pauvre. Elle nous parle également, en cette année de commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, du front de la Somme et des 128.000 Néo-zélandais arrivés en avril 1916 pour défendre le front devant Amiens. Elle cite la bataille de Passchendaele, où en une seule journée, il y a eu plus de morts Néo-zélandais de tués que lors de n'importe quelle autre. Elle cite aussi la bataille de Flers-Courcelette, où en vingt-trois jours il y eut 2.111 soldats Néo-zélandais tués et 5.845 blessés. La plupart repose dans la nécropole de Longueval et dans le cimetière de Caterpillar Valley. Plus d'un millier de soldats Néo-zélandais sont par contre portés disparus. L'Anzac Day est le jour commémoratif pour les Australiens et les Néo-Zélandais, rappelant le débarquement du corps expéditionnaire à Gallipoli (Dardanelles) le 25 avril 1915 et la défense du front à Villers-Bretonneux, devant Amiens, le 25 avril 1918.

À ce sujet, sans vous ennuyer, puis-je faire un rapide résumé de la suite des événements. L'avance allemande est arrêtée à Villers-Bretonneux le 4 avril 1918 par les Australiens. Suite à cela, la deuxième bataille de la Somme fut déclenchée. La bataille d'Amiens ou bataille de Montdidier se déroula du 8 au 11 août 1918. Du 30 août au 2 septembre 1918, les Australiens et les Néo-Zélandais traversent la Somme, prennent Péronne et Saint-Quentin. La prise de Quéant (entre Arras et Cambrai) fait que les Allemands abandonnent la ligne Hidenbourg. Du 3 au 10 septembre, les Allemands réoccupent à nouveau la ligne Hidenbourg. La bataille d'Amiens prend fin. Les Britanniques et les Français ont perdu 42.000 hommes. Les Allemands ont plus de 100.000 hommes de perdus, dont 300.000 prisonniers. Le maréchal Hidenbourg comprend enfin que la guerre ne sera jamais gagnée, qu'elle est même perdue. Il demande alors l'armistice, qui sera signée le 11 novembre 1918. Mais que de souffrances, de tragédies, de larmes, de vies stoppées brutalement ou martyrisées physiquement ou psychologiquement pour les rescapés par les deux peuples, allemand et français, pour en arriver là et faire taire le bruit des armes ! Maintenant, je ne vous parlerai plus de la guerre dans mon récit.

La fin de l'Assemblée générale se termine un peu brouillon, car il y a une grande difficulté à recueillir des propositions de lieux pour notre prochaine rencontre, avec surtout des bénévoles qui s'en occupent sérieusement. Il ne faut pas que les futures A.G. soient toujours dans les mêmes régions de France, éviter que ce soient les mêmes personnes qui font peu de distance et d'autres qui doivent traverser toute la France pour nous rejoindre. Une seule piste sérieuse émerge, mais à travailler, pour une Assemblée générale 2017 dans la région de Colmar. Merci à notre "frère Jacques" H. qui va s'occuper de cette proposition.

Mais nous avons les gosiers secs et les " Gâteaux battus " (spécialité de brioches locales), et les " Macarons d'Amiens " (réalisés par Françoise, l'épouse de notre président) qui se préparent nous distraient trop. Il est temps de passer au verre de l'amitié, un verre de " Kir picard " à la main.

© Photos (5) : J. Sauval-Schmutzler - 11/06/2016

Trop discrète dans un coin et venue pour trop peu de temps, une adhérente de Paris, Françoise G-G., présente son livre de souvenirs d'enfance : ORTHEZ, mes racines entre ville et campagne. Orthez se trouve dans les Pyrénées-Atlantiques. Je lui achète un exemplaire et plus tard, la lecture de cet émouvant témoignage me satisfera de mon achat.

Après le repas du soir à la cantine, repos du loir jusqu'aux matines, mais sans hiberner six mois, car demain une longue journée de tourisme nous attend.


*

Dimanche 12 juin :


Le réveil crache trop tôt son agressive sonnerie. Vous connaissez maintenant la suite en ce qui me concerne... Au petit déjeuner, les yeux de celles et ceux qui ont dormi sur place à l'Auberge de jeunesse et ont eu plus de temps pour se réveiller sont bien ouverts. L'ambiance est même joyeuse. Après, avec Françoise mon épouse, nous allons faire une petite visite des deux casernes et photographions les bâtiments les plus caractéristiques. Je me rappelle des bruits habituels de ces endroits, surtout l'aboiement des sous-officiers se sentant une responsabilité stratégique nationale : " Marche, une, deux... ", " Arme sur l'épaule, droite... ", " Reposez arme, repos... ", " Garde-à-vous, redressez la tête... ". Mais ils ne savent pas ce qu'ils veulent pour donner une succession d'ordres aussi contradictoires ! Que cette époque est loin pour moi. Mais je ne la regrette surtout pas. J'ai surtout la nostalgie de mes vingt ans.

À 9 h 30, deux cars nous attendent, non pas pour nous emmener au parcours du combattant, mais en Baie de Somme. Il n'est donc pas question de faire une sieste matinale dans le bus, surtout que je suis très curieux. Nous longeons les fameux marais de la Somme, protection naturelle en cas de guerre, aujourd'hui précieux réservoir de la bio-diversité naturelle et animale. Passant le viaduc de la Nièvre (210 m.), puis celui de Mouflers (200 m.), c'est à ce moment-là que mon voisin me fait remarquer que c'est plus plat que dans la région du Puy-en-Velay, où nous étions en 2009. Certes, il y a moins de virages, moins de montagnes, mais il y a aussi des viaducs passant au-dessus de grandes vallées ! Les éoliennes tournent sous l'effet du déplacement d'air de nos deux cars passant à proximité. Dans les prés salés, les vaches goguenardes mâchent continuellement du chewing-gum. C'est depuis que les Américains ont débarqué à la fin de la Deuxième Guerre mondiale! Cherchez-pas, c'est l'effet du kir picard qui fait écrire ces lignes à votre auteur bien-aimé! Plusieurs ronds-points sont ornés de sculptures représentant des oiseaux, dont des pélicans. Cela indique que nous nous approchons de la Baie de Somme. Par la D3, nous nous dirigeons vers la pointe de Hourdel. Enfin, nous arrivons à la " Maison de la Baie de Somme et des Oiseaux ". Je remarque que nos deux cars se sont mis en forme d'ailes d'oiseau sur le parking. Normal comme symbolique de stationnement.

Le guide nous explique les particularités de la baie de Somme :

- la SLIKKE est le domaine immergé et émergé deux fois en 24 heures, quelque soit la force de la marée. Elle est composée d'éléments fins (type vase ou sable vaseux). Elle est nue et pauvre en végétation. Elle est pourtant riche en invertébrés et coquillages.

- le SCHORRE est la partie supérieure de l'étage littoral, au-dessus du niveau supérieur des hautes mers de morte eau. C'est le marais salé littoral, interrompu par des sillons où s'écoulent de l'eau n'autorisant qu'une végétation discontinue. La végétation typique des lieux est : l'Absinthe (ou Armoise maritime) mais elle ne produit pas la boisson du même nom, l'Arroche hastée, l'Aster maritime (ou Oreilles de cochon), la Bette (ou Betterave maritime, l'ancêtre de nos betteraves actuelles, le Cakilier (dit Roquette de mer ou Tétine de souris), le Chou marin ou Cramble maritime, espèce protégée, la Cochléaire officinale (dite Herbe aux cuillères), le Lilas de mer (ou Chiendent du littoral), la grande Mauve, les feuilles ressemblant à du lierre, mais poilues, bon pour le traitement des voies respiratoires, l'Obione, (ou Faux-pourpier), arbrisseau de 30 à 60 cm de hauteur poussant dans la Baie de Somme, la Puccinelle maritime, broutée par les agneaux du pré salé, la Salicorne d'Europe, (ou Haricot de mer), appelée aussi " Passe-pierre " (ou Cornichon de mer) pour ses vertus à dissoudre les calculs rénaux. C'est la reine de l'estuaire. Mais elle est vivement concurrencée par la Spartine, invasive et favorisant petit à petit le comblement de la Baie de Somme. Nous finirons par le Stacite commun, la Suède maritime, qui a servi à fabriquer la lessive dite " Lessit " et le Roseau commun (ou Phragmite), utilisé jadis pour couvrir les toitures.

Deux cent trente (230) espèces d'oiseaux sont observables en Baie de Somme. J'ai relevé le nom de plus de soixante oiseaux dans les vitrines, mais je vous épargnerai la lecture de cette liste fastidieuse. Sachez que le plumage de la femelle est moins coloré que celui du mâle... pour protéger le nid. Le mâle, plus chatoyant, attire ainsi le prédateur ailleurs. Vous savez ce qu'il vous reste à faire, les messieurs...

La Baie de Somme se comble petit à petit, ai-je écrit précédemment (700.000 m3 par an), ce qui favorise le développement des molières ou schorres. Il y a 2.000 ans la baie était très ouverte (20.000 ha). Les autochtones étaient les Ambiens et leur capitale était Samarobriva « Pont sur le Somme » - Amiens. Ce nom a donné celui du célèbre parc, le grand parc naturel de la Préhistoire de Samara, à 15 km d'Amiens, sur l'oppidum de La Chaussée-Tirancourt, ouvert en 1995.

Le canal de la Somme a été réalisé entre 1770 et 1835, la digue du large entre 1829 et 1833, la digue basse en 1866, le bassin de chasse entre 1861 et 1865, le canal de la Maye en 1884, la visite des anégiennes et anégiens en 2016. Maintenant, la Baie de Somme couvre seulement 7.200 ha.

En 1911, on plante les pilotis soutenant une digue, entre Noyelles-sur-Mer et Saint-Valéry-sur-Somme, séparant l'estuaire de la vallée. La baie a une profondeur horizontale de 14 km sur 5 km de large et une ceinture de 72 km de côte picarde.

À la " Maison de la Baie de Somme et de l'Oiseau ", je cherche un appeau pour appeler spécifiquement les anégiens, mais je n'en trouve pas qui me satisfasse. Le seul qui convienne est de crier : Maintenant, on va au restaurant! Au départ du car, scénario habituel. En comptant les gens assis dans le car, il y a une erreur sur le nombre de personnes. Il en manque deux. Françoise compte et recompte. L'exercice est aussi ardu que de compter le nombre de grands cormorans et de macreuses brunes dans l'étang voisin sans se tromper. Finalement, le compte est bon, le moteur du car ronronne de contentement comme nous, car cette visite a été très intéressante. Dehors, il pleut... mais pas assez pour ne pas voir les nombreux moutons dans les prés salés, puis les petits chevaux Henson (mais pas de dames!).
Le Henson (Cheval de la Baie de Somme) est une race chevaline française. 2003 était enfin l'année de la " concrétisation " avec la reconnaissance officielle de la race par le Ministère de l'Agriculture. La Baie de Somme est le berceau de la race Henson. C'est avant tout une monture de tourisme, calme, de confiance et très résistante, mais c'est aussi une monture de compétition.

Voir le site du

race de chevaux de la " Baie de Somme ".


Un groupe de chevaux de race Henson.
Photo prise du Parc Ornithologique du Marquenterre, le 15/08/2015.
© Photo : J. Sauval-Schmutzler

Nous déjeunerons au restaurant " Au Relais de la Maye ", à Saint-Firmin-lès-Crotoy (Somme). Que vous dire de ce repas, sinon qu'en ces moments-là, on oublie que la vie n'est pas toujours rose. Nous, on a les joues rouges de plaisir. La difficulté est d'accrocher une discussion avec nos amies et amis allemands, quand on ne maîtrise pas du tout la langue d'Outre-Rhin. Et la langue des signes n'est pas toujours efficace. Mais on est côte-à-côte, épaule contre épaule, et la chaleur qui émane de la salle n'est pas seulement due aux plats chauds qui passent, mais surtout à celle de l'amitié qui circule entre nous en même temps que les bonnes bouteilles de vin.

Après ce bon moment, nous irons à la gare du Crotoy. La " 230 bretonne E-332 " nous attend. Est-ce un billet administratif pour gagner les côtes de la Bretagne ? Que nenni. Il s'agit d'une vénérable locomotive de 1909 qui, longeant la Baie de Somme, va nous emmener jusqu'à Saint-Valéry-sur-Somme. Dans le wagon, j'ai un mouchoir en papier dans ma poche et j'essuie la vitre embrumée, car il pleut toujours dehors. Spontanément, je continue d'essuyer, au grand étonnement des passagers, toutes les autres vitres du compartiment. Attention, il va y avoir un contrôle des billets !

Que je me permette un rapide historique sur cette ligne picarde et iodée. La Compagnie de Chemin de fer d'Amiens à Boulogne-sur-Mer est ouverte en 1848. À Abbeville, les voyageurs peuvent aller à Saint-Valéry-sur-Somme et Cayeux-sur-Mer en voiture à cheval, Le Crotoy à partir de la gare de Rue.

Le 5 juin 1858, un embranchement entre Noyelles-su-Mer et Saint-Valéry-sur-Somme est créé, via un pont de 1.367 m. pour laisser passer la mer au fond de la baie. La loi Migneret de 1865, créant les voies ferrées d'intérêt local, place cette responsabilité aux conseils départementaux. Le réseau dit des " Bains de mer ", attirant de nombreux touristes de Paris et du Nord, est initié. La voie Noyelles-sur-Mer Le Crotoy est ouverte le 1er juillet 1887. Elle sera fermée le 31 décembre 1969. La voie Noyelles-sur-Mer Saint-Valéry-sur-Somme démarre le 6 septembre 1887. Elle sera fermée le 31 décembre 1972 pour les voyageurs et le 4 février 1989 pour les marchandises (chicorée, coquillages, betteraves, galets de silice extraits sur la plage de Cayeux-sur-Mer). Sur le tronçon Noyelles-sur-Mer Saint-Valéry, la voie a quatre files de rails (une voie d'écartement d'un mètre, car le réseau est métrique, insérée dans une voie large de 1 mètre 435, mesure nationale). L'automobile va tuer le transport des voyageurs par le train. Ainsi, en 1958, 150.000 voyageurs empruntaient le réseau. En 1969, ils ne sont plus que 75.000. Une association de sauvegarde est créée le 13 mars 1970. Elle se charge de collecter un beau matériel roulant et de le restaurer et de militer pour la réouverture du chemin de fer autour de la Baie de Somme pour les touristes. Un premier voyage quitte Le Crotoy pour Noyelles-sur-Mer le 4 juillet 1971. À la fin des années 70, cette portion de voie est entièrement refaite. L'autre voie vers Cayeux-sur-Mer suivra plus tard. En 2012, sur l'ensemble du réseau, il y aura 152.000 touristes, dépassant ainsi les chiffres de 1958. L'association du Chemin de fer de la Baie de Somme emploie maintenant vingt salariés permanents et trente en pleine saison touristique. À cela s'ajoute trois cents bénévoles, pas tous des anciens de la SNCF. Dîners à bord chaque fin de semaine, accompagnements de tournages de films, restaurations et essais de machines ferroviaires, accueil et conduite des trains sont les activités de l'association. Comme pour les voitures anciennes, je trouve que les trains centenaires sont beaux, malgré des lignes de carrosseries massives. Sur le quai, j'ai l'impression que rien n'a changé depuis un siècle. Je vois les anégiennes en robes à crinoline et portant l'ombrelle, les anégiens, arborant fièrement de belles moustaches, la casquette vissée sur la tête, portant quelques paniers en osier contenant victuailles et bonnes bouteilles. Sur le parcours, nous traversons de nombreux ruisseaux. Venant du Crotoy et arrivée à Noyelles-sur-Mer, la voie métrique se termine en impasse. La locomotive de tête est détachée puis remise à l'autre bout de la rame pour pouvoir repartir sur la voie menant à Saint-Valéry-sur-Somme. Chez moi, en Normandie, ce sont les vaches qui regardent passer les trains. Ici, ce sont les canards, pataugeant dans les nombreux étangs, qui nasillent à notre passage. Rassurez-vous, nous ne sommes pas des chasseurs en goguette et nous n'aimons pas le bruit des fusils. Nous arrivons enfin à Saint-Valéry-canal. Beaucoup sont déçus de ne plus avoir le temps de visiter la vieille ville. Mais les chauffeurs des deux cars nous attendent et leur temps de travail réglementé se termine bientôt. Ou alors, il aurait fallu deux chauffeurs par car, mais le coût aurait alors alourdi la facturation de notre séjour en Picardie.
Retour de la troupe à la caserne, heu... je veux dire à l'Auberge de jeunesse d'Amiens. Avons-nous l'impression d'être de jeunes routards, arrivant avec le sac à dos, à une étape parmi d'autres dans un long voyage à travers la France, voire l'Europe ? Laissez-nous l'illusion de dire oui et oublions un peu la fatigue arrivant plus vite, nos maux de dos ou nos rhumatismes. À l'ANEG, dans nos cœurs, on a toujours vingt ans ! Une bonne nuit de sommeil, ou d'insomnies pour ceux qui ont du mal à dormir ailleurs que dans leur lit habituel, et demain nous cavalerons comme des biches ou des bouquetins dans les rues d'Amiens.


*

Lundi 13 juin :

Le réveil a sonné depuis un moment déjà... Tout le monde se retrouve devant le portail de la magnifique cathédrale Notre-Dame d'Amiens. C'est l'avant-dernière construction d'une cathédrale, avant celle de Beauvais. Elle fait deux fois le volume de la cathédrale de Paris. C'est donc la plus grande cathédrale de France. Hé, les Parisiens, en province, nous avons aussi des choses grandioses, ne vous en déplaisent ! La première pierre a été posée en 1220. Il faudra seize ans pour bâtir la nef et cinquante ans pour achever totalement le gros-oeuvre, ce qui est rapide. À cette époque, Amiens était une cité riche, grâce au commerce de la guède, plante donnant le pastel, couleur bleue (le bleu d'Amiens a été créé en cette ville), les manufactures de draps, les teintureries. Les Amiénois n'étaient pas éplorés lorsqu' on leur disait : " Vous êtes dans de beaux draps ! ". L'évêque avait aussi d'importants moyens financiers. Je ne vais pas refaire la visite détaillée de la cathédrale. Juste vous donner quelques chiffres : surface : 7.700 m2, longueur : 145 m, largeur du transept : 70 m, hauteur intérieure sous les voûtes : 42 m 30, triforium à 32 m de haut, la flèche s'élève à 112 m. de hauteur. Pour mieux imager ces chiffres, si on voulait remplir la cathédrale d'Amiens de sable, il faudrait 200.000 m3 (100.000 m3 seulement pour celle de Paris). " Hauteur, largeur, lumière " sont les trois clefs pour l'architecte d'une cathédrale. Comment un architecte commençait-il à dessiner une cathédrale ? Il se mettait à un point central sur une surface choisie destinée à l'érection de la cathédrale, le 21 juin, pour avoir au matin le premier rayon de soleil, indiquant l'Est. À partir de cet axe, l'architecte dessinait alors le plan horizontal de la cathédrale.


© Photos (5) : J. Sauval-Schmutzler - 13/06/2016

Devant la façade, il y a un danger de torticolis, car nous avons tous la tête levée vers le ciel ou plutôt vers le portail de Saint-Firmin avec les scènes de travaux des champs illustrés par les signes du zodiaque, surmontant les statues de saints picards, puis au centre, le Portail du célèbre Beau Dieu, entouré des douze apôtres, couronné par le Jugement dernier. Enfin, sur la droite, le portail de la Mère Dieu, avec les scènes de la vie de la Vierge. Le dessus du portail est surmonté par le triforium et la galerie des Rois de Juda. Les rois de Juda font seulement quatre mètres de haut, grandeur oblige. C'est époustouflant à voir. Il y a quelques 3.000 sculptures en tout dans le monument classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO en 1981. Nous notons que les assises de la cathédrale sont en grès des Ardennes, pour empêcher les infiltrations de la Somme toute proche de remonter sur les murs, par capillarité. Il a fallu vingt-quatre ans pour rénover et nettoyer par laser les murs extérieurs de la cathédrale, que nous voyons en noir, blanc ou gris. Comme pour une imprimante, notre imagination peut faire une copie en couleurs, car à l'origine, les cathédrales étaient peintes de couleurs chatoyantes, à l'extérieur comme à l'intérieur. Sur la façade d'Amiens, on a retrouvé vingt-six couches de peintures superposées. Depuis plusieurs années, un extraordinaire spectacle son et lumière, l'été lorsque la nuit est tombée, reconstitue les couleurs de la façade donnant sur le parvis, telles qu'un pèlerin pouvait les voir au Moyen-Âge. Éblouissement pour les yeux, délectation de l'esprit, élévation de l'âme sont les trois clefs pour le visiteur qui a la chance de voir ce spectacle nocturne.
Nous pénétrons dans le monument et tout de suite, nous sommes ébahis par les volumes intérieurs de l'édifice et nous nous sentons bien petits, cernés par l'enveloppe de pierre façonnée, sculptée, brodée comme une dentelle minérale. Sur le dallage représentant un labyrinthe, chemin initiatique montrant le difficile cheminement du chrétien à la plénitude, une femme suit le parcours long de 234 m. jusqu'au centre où, la dalle centrale cernée d'une inscription gravée sur une lame de cuivre indique l'année de commencement des travaux et les trois maîtres qui les continuèrent jusqu'en 1288. Cette dalle est la copie de l'originale conservée au Musée de Picardie.

" EN L'AN DE GRACE MIL IIC
ET XX FU LEWRE DE CHEENS
PREMIEREMENT ENCOMENCHIE
ADONC YERT DE CHESTE EVESQUIE
EVRART EVESQUES BENEIS
ET ROY DE FRANCE LOYS
QUI FU FIZ PHELIPE LE SAGE
CHIL QUI MAISTRE YERT DE LOUVRAGE
MAISTRE ROBERT ESTOIT NOMES
ET DE LUZARCHES SURNOMES
MAISTRE THOMAS FU APRES LUY
DE CORMONT ET APRES
CESTOY SES FILZ MAISTRE RENAUT QUI METTRE
FIST A CHEST POINT CY CESTE LETTRE
QUE L'INCARNACION VALOIT
XIIIC ANS XII EN FALOIT "
Traduction
En l'an de grâce 1220,
cette œuvre fut commencée.
L'évêque béni de ce diocèse
était alors Evrard,
le roi de France Louis,
fils de Philippe le Sage.
Celui qui était maître d'œuvre
était nommé " Maître Robert "
et surnommé " de Luzarches ".
Après lui vint
Maître Thomas de Cormont
et après celui-ci
son fils Maître Renaut
qui fit mettre
à cet endroit-ci, cette inscription
en l'an de l'incarnation 1288.



© Photos (5) : J. Sauval-Schmutzler - 13/06/2016

Nous examinerons la longue bande dessinée de pierre, toute en couleurs, entourant le choeur, racontant la vie de Saint-Firmin, premier évêque d'Amiens, commentée par de petits textes en vieux français. De l'autre côté, une frise sculptée nous raconte la vie de Saint Jean-Baptiste. Pourquoi ce saint ? Parce que la cathédrale d'Amiens possède, depuis le 17 décembre 1206, la face du crâne de Saint Jean-Baptiste. Trouvée sans doute dans un des palais du roi Hérode à Jérusalem, elle se trouvait en 850 à Constantinople. À la quatrième croisade, des Picards la trouvent et la confisquent, car dépités de ne pouvoir continuer vers Jérusalem, les croisés pillent Constantinople. À cette époque, on n'avait pas d'états d'âme, ni de scrupules. Cela a-t-il changé maintenant ? Wallon de Sarton, chanoine de Picquigny, la ramène à Amiens le 17 décembre 1206. Pour avoir un écrin digne de cette sainte relique, on décida de construire une nouvelle cathédrale qui surpasserait en beauté toutes les autres. Maintenant, je vous laisse libre de croire ou pas à l'authenticité de cette vénérable relique. Elle est censée guérir le haut mal, c'est-à-dire l'épilepsie. Nous admirons le magnifique travail des grilles de fer forgé, dorées à la feuille d'or et à travers les barres, nous devinons les 110 stalles sculptées (120 à l'origine) dans le choeur. Une partie du bois nécessaire vient d'une forêt près de Clermont-en-Beauvaisis, le reste venant de Hollande par Saint-Valéry-sur-Somme et Abbeville. Passons devant le dais orné de 2.200 fleurs de lys ou les orgues monumentaux avec ses 2.800 tuyaux (la guide nous parle de 3.624 tuyaux !), levons la tête pour voir la rosace de la mer avec ses 12 m de diamètre, aussi grande que la piste du cirque d'Amiens. Derrière le choeur, une tête d'angelot connue sous le nom de " L'Ange pleureur ", appuyée sur un crâne humain a beaucoup été représentée sur des cartes postales en 1915, car elle était le symbole de la résidence des soldats en repos ou en convalescence à Amiens. La chapelle Saint-Jacques-le-Majeur servira d'espace commémoratif pour les anniversaires de la bataille de Verdun et de la Somme en 1916. Et je passe sur plein d'autres choses admirables. Nous avons la tête pleine et les yeux saturés. Il est temps de sortir prendre l'air, d'autant plus que midi est proche et qu'un anégien ou une anégienne a toujours faim. Sur le parvis, quelqu'un que je ne nommerai pas me dit que son frère, quand il vient à l'Assemblée générale, est la coqueluche des dames. Mais cette année, il est plus réservé car sa femme l'accompagne. Aussi, il ne veut pas qu'il y ait trop de traces de rouge à lèvres sur ses joues. Comment ? Non ce n'est pas moi !

Nous trouvons, ma femme et moi, un restaurant. Sur la terrasse, une télévision montre un match de foot-ball (Coupe du monde oblige). Je dis à mon épouse : " Le foot, c'est pas mon truc ". Je préfère l'histoire, comme mon voisin de table étonné, ce dernier lève la tête et me demande comment je sais cela. je lui réponds que j'ai repéré qu'en attendant les plats, vous lisiez un gros livre sur " 1940 dans le Nord de la France ". Du coup, on se met à parler des deux guerres mondiales. Mis dans la confiance, je lui explique ma présence à Amiens et lui présente l'ANEG, en lui indiquant le site internet. Il me confie qu'il est bénévole pour des reconstitutions historiques et que les weed-end, il voyage beaucoup sur la France et la Belgique. Je ne suis pas mécontent de ma curiosité et de la conversation qui a suivi.

© Photos (2) : J. Sauval-Schmutzler - 13/06/2016

En ce début d'après-midi, nous allons voguer à l'intérieur des célèbres " Hortillonnages d'Amiens ", puis ensuite visiter la vieille ville. Quoi de mieux pour des franco-allemands que d'avoir une guide d'origine allemande, surtout si elle est charmante. Les hortillonnages étaient déjà connus au XIIe siècle, mais ils sont certainement plus anciens, peut-être remontant à l'époque gallo-romaine, car les soldats de Jules César appelaient déjà les jardiniers du coin : Hortulani, qui a donné le nom Hortillon. Avant d'arriver à l'embarcadère, nous passons devant une énorme structure gonflable en vinyle, en forme de ballon rouge (cinq mètres de diamètre), coincée dans l'ouverture de la porte d'une maison, comme pour y rentrer. Il s'agit de la Redball, de l'artiste américain Kurt Perschke, qui va être installée dans sept lieux différents pendant sept jours à Amiens, à l'occasion du festival La rue est à Amiens-Fête dans la ville. L'artiste a voulu représenter comme l'intrusion dans notre quotidien urbain d'un objet inattendu devant nous surprendre, comme un énorme nez de clown devant nous faire sourire. Mais attention, il ne s'agit pas d'une grosse pomme, car si vous croquez dedans, attention aux dégâts !

Les " Hortillonnages d'Amiens ".
© Photos (2) : J. Sauval-Schmutzler - 13/06/2016

Après un film sur l'histoire du lieu, à la Maison des hortillonnages, nous voilà maintenant assis dans plusieurs barques à cornet fonctionnant à l'électricité, longue de neuf à dix mètres. Son bout relevé permet d'accoster la berge sans l'abîmer. Je sens que plusieurs marins d'eau douce ne sont pas rassurés pour cette visite des soixante-cinq kms de canaux (appelés fossés et rieux) s'étalant sur les trois cent hectares des hortillonnages (cinq cents au XIIIe siècle). Mais nous ne parcourons pas tous les canaux, vu le temps imparti. Ça tangue, ça bouge, mais jamais personne n'est tombé à l'eau jusque-là car il n'y a pas de remous sur l'eau, à moins qu'il n'y ait une ou un volontaire pour prendre un bain. La visite va durer quarante-cinq minutes. Les hortillonnages, terres aménagées sur les marais (apport de terre, colmatage, endigage, drainage, etc), étaient le lieu de production en légumes des maraîchers professionnels, ou hortillons. Nombreux et aisés pendant plusieurs siècles, ils ne sont plus que neuf actuellement (de nombreuses parcelles sont maintenant louées à des particuliers). Leurs épouses vendaient les produits récoltés au delà du Pont du Cange, sur les quais dans le quartier de Saint-Leu proche, trois fois par semaine. C'étaient des femmes extrêmement solides, fortes, puissantes et courageuses, dira un ancien hortillon. Quel bel hommage. Jusqu'au début du XIXe siècle, on y extrayait également la tourbe qui, séchée, servait de combustible. Le développement des hortillonnages a surtout été nécessité par l'accroissement démographique qu'a connu Amiens au XIIIe siècle, mais le plein essor date du XIXe siècle. Nous sommes ébahis par le soin apporté par les jardiniers à l'entretien de leurs parcelles. Il y a beaucoup de fleurs et surtout un silence qui nous fait oublier que nous sommes si près du centre-ville. Nous allons retrouver quelques connaissances croisées hier en Baie de Somme : canards colverts, poules d'eau, grèbes huppés, foulques, petits hérons. Un héron cendré nous toise, très placide et fier, au passage de notre barque. Nous y ajouterons grenouilles, ragondins, cygnes. Les joncs, aulnes, roseaux à massette, glycéries, nymphéas, vulpins, iris d'eau , pieds de loup, plantins, fenouils d'eau, sagittaires forment un décor végétal reposant et ravissant, néanmoins envahi par la jussie aux belles fleurs jaunes, mais parasitant le site. Nous referions bien un deuxième tour, mais la guide nous attend pour découvrir le quartier de Saint-Leu, populaire, ouvrier, là où ne résident pas les riches d'Amiens, à moins qu'il ne devienne un jour un quartier bobo, c'est-à-dire bohème et friqué. Je connais ce cas à Rouen. Le quartier Saint-Leu était connu pour être un coupe-gorge, un lieu mal famé. En ce moment, ce sont surtout les étudiants qui réoccupent les lieux (l'université des sciences n'est pas loin) car les loyers y sont moins chers qu'en centre-ville.

Il ne semble pas qu'à l'époque gauloise, il y ait eu du monde à Amiens. En tout cas, on en a pas trouvé de traces. Sous les Romains, il y avait 20.000 habitants (en comparaison, Lutèce, le futur Paris, n'en avait que 5.000). Comme nous avons pu le constater, l'eau est omniprésente dans la géographie d'Amiens et a été le principal moteur de son développement durant plusieurs siècles. Au XIIe siècle, il y avait deux cents petits ponts dans la ville. La Somme a été canalisée au XIXe siècle. Le chemin de fer est arrivé en 1848. Les transports sur le fleuve ont donc cessé. Pour ceux qui aiment l'eau, le premier club nautique, en France, a vu le jour à Amiens. C'est à partir seulement du XIe siècle que les Amiénois ont occupé la terrasse plus basse de Saint-Leu, pour accéder à un cours d'eau et y créer des moulins. Amiens ayant brûlé pendant trois jours en 1940, le quartier Saint-Leu dans sa globalité est maintenant le plus ancien de la ville. À Saint-Leu, le pont Du Cange, entouré de fortifications, était l'entrée dans la ville-centre. Dans la rivière, le sculpteur Ian Balkenhol a installé en 1993 trois sculptures : L'homme à la chemise rouge (enlevée), La femme à la robe verte, L'homme sur sa bouée. Puis nous arrivons à une petite place où se trouve une autre sculpture, connue de tous les habitants d'Amiens, la célèbre redoutable marionnette Lafleur, apparue au XIXe siècle. Populaire, elle s'adressait à ceux qui n'avaient pas les moyens d'aller au théâtre. Elle a pourtant inspiré la création de nombreux théâtres de marionnettes, vers 1900. Le cinéma se développant a tué cette activité artistique. Mais en 1933, les Chés cabotants d'Amiens renaissent avec Lafleur, personnage principal. Vous aurez remarqué que " Cabotant " (marionnette) a comme corps le mot " cabot ". Et Lafleur était un sacré cabot. Frondeur, avec un franc-parler, railleur, il n'a pas dû se faire que des amis. Notamment son épouse, Sandrine, qui le disputait souvent. Et ne parlons pas des gendarmes, principaux destinataires des coups de pieds de Lafleur. Non, ce n'est pas Lafleur qui a inventé le Kung fu. Si Lafleur a eu autant de succès, notamment par le petit peuple, c'est que ce personnage consolait les rancoeurs de ceux qui avaient des démêlées avec l'autorité ou disait des choses que beaucoup n'aurait oser exprimer aux nantis et oppresseurs de tous poils. Notre guide nous rappelle qu'il y avait beaucoup de protestants dans le quartier, travaillant ou négociant le velours d'Utrecht, puis celui d'Amiens. Quartier laborieux, mais pauvre, ses habitants de jadis ou de maintenant méritent tout notre respect. L'église du quartier, Saint-Leu (Saint-Loup) a des voûtes en bois, plus légères que des voûtes en pierre, car le sous-sol, gorgé d'eau, est trop mou. Nous regagnons la place Saint-Michel, derrière la cathédrale et nous arrêtons devant la statue en bronze de Pierre l'Hermite, réalisée par Gédéon de Fonceville. Prédicateur zélé de la principale croisade de 1096, il serait né, selon la légende, à Amiens ou dans les environs. Mais les historiens soulignent avec insistance que l'on n'a aucune source écrite prouvant cette origine. Encore quelques pas et nous terminerons au Palais de justice, côté place d'Aguesseau. Un bas-relief (sculpté par J. Samson en 1880, mais pas de ma famille!) rappelle que l'on est ici devant le lieu supposé où Saint-Martin sépara son manteau (bien militaire précieux pour un soldat romain) pour le partager avec un pauvre. À l'emplacement de l'abbaye Saint-Martin-aux-Jumeaux, fondé en 1075, on lisait cette inscription :

© Photo : J. Sauval-Schmutzler - 13/06/2016

" Chy Saint Martin divisa son mantel
en l'an trois chent, ajoutez trente sep "
.

Mais il est temps de rentrer à l'Auberge de jeunesse nous reposer et nous préparer pour un repas festif. Certaines ou certains trouvent un bus, d'autres n'ont la possibilité de revenir qu'à pied, en grommelant de fatigue. Que dire de la soirée, sinon que nous aimons faire la fête, et bien manger, et bien boire, et bien rire. Voilà les vrais plaisirs de la vie, quand on n'en abuse pas. Nous continuerons par une soirée " Histoires et blagues ". Certains aimeront, d'autres moins, c'est selon l'humour de chacun. Mais il y a surtout la fatigue de ces trois jours passés ensemble qui pèse et certains doivent partir de bonne heure demain matin. Il y a Marie-Cécile et Françoise, mon épouse, qui regardent fébrilement leur montre et je sens qu'elles souffrent. Merci pour leur courage. Il est temps d'aller dormir.

*

Mardi 14 juin :

Le réveil... je vais lui taper dessus. Dire que Marie-Cécile, déjà fatiguée, s'est levée une heure trop tôt, car son train pour Berlin part une heure plus tard que prévu. Cruel sort ! Que je n'aime pas les au-revoir, même si je sais que ce ne sont pas des adieux. Que les Assemblées générales passent trop vite. Nous allons tous retrouver notre quotidien, mais surtout pas nous oublier après de si bons moments. Comme un prisonnier du temps qui passe, soit trop doucement, soit trop vite, je vais compter les jours qui nous séparent de la prochaine Assemblée générale 2017. Nous serons un an plus vieille ou plus vieux, mais quand nous nous retrouverons, nous serons toujours jeunes dans nos cœurs. À bientôt...


De ma barque à cornet rouennaise,
je conclus mon récit le lundi 29 novembre 2016.



Dominique SAMSON

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Discours de Brigitte FOURÉ,
Maire d'Amiens,
Vice-présidente d'Amiens Métropole.

Amiens, le 11 juin 2016.


(autres photos à venir)

© Photo : J. Sauval-Schmutzler - 07/06/2015

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